Les mémoires d’un pirate (122)

L’arrivée de LeChuck ne s’était pas faite sans bobo. Le vilain avait saccagé le pauvre village de pirates assoiffés de sang sans défense, en brûlant au passage quelques maisons, en recouvrant de graffitis insultants les façades et en violant quelques chats de gouttière, faute de mieux. Il n’y avait pas beaucoup de femmes sur l’île de Mêlée, à l’exception des serveuses du Scumm Bar. Mais aujourd’hui c’était leur jour de congé, il fallait bien que les fantômes se défoulent sur quelque chose, non ?

– Que fait-on maintenant ? demanda Otis, toujours rouge comme un homard.
– Question aussi stupide que superflue, répondis-je à mon vaillant et courageux équipage. Il faut arrêter le mariage !
– Encore cette idée idiote ! lança Meethook. Et pourquoi donc foutre dieu ? Qui te dit qu’elle n’a pas envie de se marier avec lui ?
– Ne dis pas de bêtises, s’il te plaît !
– J’imagine la nuit de noces, dit Goodnight : histoire d’os !

Nous rigolâmes brièvement à cette succulente plaisanterie avant de revenir à une discussion autrement plus sérieuse :
– Tu mets combien d’oeufs dans le gâteau aux bananes ? demanda Meethook à Carla.
– Trois, répondit-elle.

Puis après celle-ci, nous abordâmes de nouveau la question sur le mariage de LeChuck. Ils ne semblaient pas prêts à affronter le bonhomme. Ils en avaient la frousse, même en
possession d’une arme telle que la bière de racine.

– L’alcool n’a jamais tué personne ! mentit Otis pour justifier sa lâcheté.
– Mais si nous ne tentons pas quelque chose, ils vont l’obliger à épouser ce vaurien de LeChuck ! leur criai-je désespéré.
– Mieux vaut elle que moi ! me répondit la Reine du Sabre.
– Où est donc votre sens de la piraterie ?
– Autant que je m’en souvienne, je crois l’avoir laissé dans mon autre pantalon, me dit Goodnight.
– On ne peut pas abandonner maintenant ?
– Si : la preuve, me répondit Otis en s’asseyant en tailleur.
– Si près du but !
– Le but de nous faire tuer, tu veux dire ! fit Meethook.

C’est alors que je changeai radicalement de méthode. Il y avait peut-être quelque chose capable de motiver leur maudite carcasse et de leur faire surmonter leur frousse :
– Elle est… riche, leur lançais-je plein de sous-entendus.
– Riche ? firent-ils tous en choeur.
– Oui, riche et puissante. N’oubliez pas que c’est le gouverneur de l’île. Si nous pouvions la sauver du mariage, la récompense serait coquette. Elle pourrait vous offrir plus que vous ne pourriez l’imaginer !

J’espérais que l’appel de leur plus bas instinct puisse être plus efficace.

– Attention, j’ai une imagination sans limite ! dit Otis.

Mais soudain, Carla qui avait prouvé maintes fois être la plus intelligente du groupe vint mettre son grain de sel :
– A quoi sert l’argent quand on est mort ? souligna-t-elle à ses compagnons.

Mais l’avarice des autres semblait pencher en ma faveur.

– Ca vaut peut-être le coup d’essayer, dit Meethook aux autres.
– Mais bien sûr que ça vaut le coup ! leur dis-je. Avec cet argent tu pourrais te payer des crochets flambants neufs ou même, pourquoi pas des mains artificielles ! Et toi, Carla, tu pourrais enfin te payer le stage de coiffure dont tu rêves depuis si longtemps !

La jeune femme se mit à sourire. Elle commençait aussi à pencher de mon côté.

– Ne coupons pas les cheveux en quatre. Moi je marche dit-elle.
– Et moi je cesse d’être accroché à mes petites valeurs de pirate froussard ! Je suis partant aussi ! s’écria Meethook.