Chapitre 7: Pas vu, pas pris
Le palais se trouvait donc en dehors de la ville, sur une petite colline et je peux vous assurer qu’il portait bien son nom. C’était une petite merveille de cristal, digne d’une princesse comme le gouverneur. On ne se refusait rien à ce que je voyais. Pourtant au fur et à mesure que je m’en approchais, le palace prenait de plus en plus un aspect lugubre. On aurait dit une vieille bicoque abandonnée, peut-être même pire, un manoir hanté ! Comment pareil phénomène pouvait être possible ? De plus, il semblait avoir été construit de travers, à moins que tout ne soit fondé sur des sables mouvants ?
Une grille rouillée et peu sympathique bloqua ma progression vers le palais. Un garde, bien assorti, vint me l’ouvrir.
– Oui ? demanda le garde en uniforme noir d’une voix à vous glacer le sang.
Adoptant les façons hautaines d’un petit lord anglais, je toisai l’homme avec mépris :
– Eh bien, il était temps. Aviez-vous l’intention de me laisser dehors à me geler ?
m’exclamais-je d’une voix nasillarde en entrant dans la propriété sans y être invité. Atchoum ! Et voilà ! J’ai pris froid, gémis-je en portant un mouchoir à mon nez sous le regard décontenancé du garde.
– Vous êtes attendu ? demanda l’homme d’une voix rêche.
– Ne me parlez pas sur ce ton mon brave, lui dis-je en le menaçant du doigt, et contentez-vous d’avertir le gouverneur Marley que Lord Steven Lucas est ici pour examiner les tapisseries.
– Les tapisseries ?
Je levai les yeux au ciel.
– Dieu que cet homme est obtus ! Pensez-vous qu’il m’ait entendu ?
Je m’adressai de nouveau au garde :
– Nous sommes bien dans le palais du gouverneur, n’est-ce pas ? Et vous avez des tapisseries ?
– Oui, c’est le palais, répondit l’homme aussi sèchement qu’auparavant. Et nous avons des tapisseries. Mais si vous êtes un lord anglais, moi je suis Rackam le rouge !
– Comment osez-vous ! sifflais-je avec indignation.
Et je lui administrai un formidable crochet à la mâchoire, ce qui l’étendit aussi sec.
Le premier obstacle était sauté, mais une épreuve bien plus terrifiante m’attendait désormais : cinq terribles caniches-piranhas venimeux assoiffés de sang, attachés devant la porte d’entrée du palais ! Bien qu’ils fussent retenus par une solide chaîne en acier inoxydable, je m’en approchai avec une précaution non dissimulée. Leurs aboiements stridents me pétrifiaient d’horreur, j’avais du mal à respirer… Je frôlais la mort rien qu’en regardant ces monstres hargneux ! Et pourtant, je devais agir vite et leur clouer le bec avant qu’ils n’attirent d’autres gardes (si le gouverneur avait les moyens de s’en payer). Sortant un énorme gigot acheté chez le boucher du village (32), je le lançai dans l’ignoble mêlée.
Le quartier de viande disparut en un éclair dans un nuage de fumée ! Diantre ! J’aurais pourtant cru que mon assaisonnement spécial aux pétales jaunes de la forêt aurait eu raison de ces charmantes petites bêtes bouclées !
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32. Et je ne parle ni du célèbre serial killer de l’île, ni du sourd du village, mais bel et bien du boucher qui vend sa viande. Ben quoi ? On est pirate, mais faut bien manger aussi ! On ne boit pas que du grog non plus. Pssssss…