Les mémoires d’un pirate (132)

L’instant sembla se figer en même temps que lui. Du rouge, il passa au gris pierre. Il se mit à tituber dans tous les sens et chanceler d’avant en arrière en gémissant. Sa peau sembla fondre en premier, laissant ses os dénudés. Il gonfla comme une mongolfière, tant et si bien qu’il implosa comme une baudruche. Non ! Il restait encore son squelette, debout devant moi ! Il leva les bras vers moi et avança comme un zombi vers son assassin. Un coup de vent soudain le fit basculer en arrière, ses restes tombèrent et se désintégrèrent à jamais. Seule sa barbe avait survécu au massacre, peut-être parce qu’elle était le seul élément vivant qui lui était resté. Elle était là, devant moi et bougeait, comme si elle avait une vie propre. Cela ferait un chouette souvenir, un beau trophée à accrocher au mur… Quoique ce n’était pas prudent si je voulais éviter de connaître une invasion de mites.

Je levai la tête vers le ciel. Le corps de LeChuck n’avait toujours pas fini sa destruction finale et continuait à exploser dans le ciel comme un feu d’artifice multicolore. Il y avait toutes les couleurs de l’arc-en-ciel et même plus. On se serait cru dans une boîte de nuit !

J’observais la canette de bière de racine vide dans ma main. Quelle chance inouïe d’avoir atterri dans la machine à grog de Stan. Les cannibales m’avaient pourtant bien dit qu’ils avaient vendu une bonne cargaison aux îles voisines.

Je me demandais si mes autres compagnons avaient réussi à s’en sortir, mais je savais déjà au fond de moi que c’était le cas. Quelque chose me disait que tout était terminé. On avait gagné. J’étais enfin un pirate.

– Mon petit chou ? fit une voix qui me fit sursauter.

Je me retournai vers elle :

– Elaine ! Ne me surprends pas comme ça !
– Je m’excuse chéri.
– Ce n’est rien mon lapin.

C’était comme dans mon rêve. Nous nous aimions déjà. La seule différence était que sa poitrine n’avait pas grossi. Tant pis, il faudrait faire avec.

Les feux d’artifices étaient vraiment splendides. Ils semblaient tomber à pic pour parachever mon plan de drague… Moi, profiteur ? Ah, taisez-vous ! Pour une fois que ma langue ne me jouait pas des tours de cochon en présence d’une fille (50) !

Nous nous enlaçâmes tendrement tout en contemplant le ciel étoilé. Comme c’était romantique !

– Tu sais, dis-je, LeChuck était un mec pervers, pénible, collant et poisseux, mais je dois par contre reconnaître une chose…
– Oui, je t’écoute ? me demanda-t-elle sans quitter des yeux le ciel multicolore.
– Il est mignon quand il explose sur fond de ciel étoilé.

Une fois encore, une sérénade sembla sonner. Et je savais cette fois, ne pas être le seul à l’entendre. Elaine me fit un large sourire, sans persil.

– En effet, dit-elle. C’est très romantique.

Nos lèvres se joignirent enfin. Je ne regrettais pas mon aventure moi !

– Je peux te poser une question ? me fit-elle un peu gênée.
– Je t’écoute ?
– C’est pour essayer de m’exciter que tu te promènes le postérieur à l’air où c’est juste une mode passagère ?

Au même moment, Stan atterrit au beau milieu de l’Océan Atlantique. Il allait me manquer.

Au même moment, sur une île pratiquement déserte, la majestueuse île aux singes, Herman était en train de se demander où était passé le bateau et ses petits potes en pantalons.

Il scrutait les océans avec la longue-vue qu’il était reparti chercher dans sa forteresse.

– Où sont passés mes copains les pirates ? J’espère qu’ils ne sont pas partis sans nous ! dit-il à la tête de navigateur.
– Je crois qu’ils n’en ont fait qu’à leur tête et nous ont plantés là, vieux.

Le vieil Herman retourna dans la forêt avec son nouvel ami, un peu bavard à son goût toutefois. Il avait une désagréable impression de s’être fait rouler… De toute manière, il s’en foutait ! La bibliothèque attendrait quelques années de plus pour récupérer son maudit bouquin ! Et puis, il était si bien sur son île !

Toujours en contemplant les cieux nous repartîmes en direction du village. Ce n’est pas prudent de marcher la tête rivée vers le ciel, et je me ramassai un maudit tronc dans la figure.

Mais malgré cela, rien ne pouvait gâcher une telle nuit. Faisant enfin attention à la route, je me retournai vers Elaine pour lui confier les mots de la fin :
– Au moins, ces aventures m’auront appris quelque chose.
– Quoi donc ? demanda-t-elle en posant sa tête sur ma poitrine gonflée et musclée.
– Comment faire face aux frustrations, aux déceptions et au cynisme ambiant.
– C’est le genre de choses que dirait mon mari.

Une décharge traversa ma colonne vertébrale. Elle avait bien dit…

– Ton… mari ?

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50. Ne dites pas ce que je n’ai pas dit !

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