Les mémoires d’un pirate (080)

Comme tout bon capitaine qui se respecte, je m’apprêtais à faire un discours émouvant et encourageant, et enfin, le plus important, à leur donner des ordres. Je les avais tous fait monter sur le pont du navire. Le soleil, contrairement à hier soir, tapait violemment. Une journée absolument magnifique s’annonçait. Ce ne pouvait être que de bon augure.

– Tout d’abord j’aimerais vous dire à quel point j’apprécie de travailler avec un équipage si dévoué. Le voyage qui nous attend ne sera pas facile : il vous demandera de l’habileté, de l’endurance, et plus que tout de L’ESPRIT D’EQUIPE. Pour commencer, je vais assigner quelques tâches.

Je sortis un rouleau de papier où j’avais inscrit tous les travaux à donner. Je m’étais appliqué, et n’avais presque pas fait de fôte d’Aurtografe.

– Qu’est-ce qu’il raconte maintenant ? s’écria Otis devant ses camarades.
– J’ai fait une liste, continuais-je en tentant d’ignorer ces mots.
– Tu as raison, on s’est fait avoir, répondit Carla à Otis.

Ce dernier sortit des rangs et leur exposa son plan :
– Je ne vois pas pourquoi il en fait toute une histoire d’aller chercher le gouverneur.

Telle que je la connais, elle peut très bien s’en sortir toute seule. Moi je vois la situation comme ça : on a un super bateau…

L’équipage le regarda de travers, et commenta ses paroles par des toussotements. Otis
reprit :
– Je disais donc, on a CE bateau, pourquoi ne pas se reposer un peu, mettre une corde à la barre et se laisser porter pendant quelque temps ? J’ai besoin d’améliorer mon bronzage.
– Plus j’y pense, plus je réalise que je suis plutôt stressé ces derniers temps, ajouta Meethook en levant le doigt, euh… le crochet pardon. J’ai bien besoin d’un peu de repos.

Bougres de vermisseaux ! Si mon homme sensé être le plus fidèle se mettait à dire de
telles choses, c’était que la mutinerie n’était plus loin.

Goodnight avait quitté les rangs si discrètement que personne n’avait pris garde à lui. Par contre, son retour ne passa pas inaperçu :
– Hé, les gars ! cria-t-il. J’ai trouvé ces chaises pliantes !

Carla se dressa fièrement devant moi, la poitrine bombée en avant. Oula ! Je crois qu’elle avait quelque chose d’important à me dire !

– Très bien, fit-elle. C’est décidé : on est en vacances à partir de maintenant !

Me morfondre dans ma cabine ne servirait à rien. Je songeais à ma piètre réaction devant mon équipage rebelle : un soupir. Enorme soupir, il est vrai, mais pas de quoi en faire une tempête. Les mutins ! Me faire ça à moi ! Le Capitaine Threepwood ! Ce n’était pourtant pas le meilleur moment pour me faire un tel coup. Les soucis ne me manquaient point déjà : je n’avais aucune idée de l’emplacement de l’île aux singes, ni même de sa direction. Lieu inconnu, destination inconnue, destin inconnu. Les brigands ! Ils m’avaient bien eu ! Ma mère me l’avait toujours dit : « Ne tombe jamais amoureux ! C’est la ruine d’un homme. Regarde ton père ! ».

Je me jetai lourdement sur le lit du capitaine. A tel point que les quatre pieds craquèrent en choeur. Finalement, cette journée ne me paraissait pas si bonne que cela… Tout en restant allongé, j’observais un peu ma belle cabine. Elle était propre. L’ancien capitaine de ce navire devait être quelqu’un d’ordonné. Elle était plutôt luxueuse aussi, avec de beaux rideaux de satin rouge, bien que troués, aux fenêtres et une tapisserie un peu puérile il faut le dire, une tapisserie de petits singes. La cabine comportait aussi quelques meubles : un petit coffre, ressemblant à un vieux coffre au trésor, un beau bureau en bois pourri, et une armoire tout aussi belle en chêne. Le capitaine était vraiment un homme de goût. Le coffre était totalement vide et l’armoire fermée à double tour. Peut-être aurais-je la joie de trouver la clé ou quelque chose d’autre dans les tiroirs du bureau ? Hum… pas de clé, mais un vieux livre poussiéreux. On aurait dit un journal de bord.

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