Il grimaça, cracha jaune, puis continua en baissant le ton de sa voix :
– A mon avis… le nouveau shérif est dans le…
La foudre tonna. On aurait juré que ça s’était abattu à trente-trois centimètres et demi de moi. Le plus bizarre, c’est qu’il ne pleuvait point. Pas l’ombre d’un nuage dans le ciel.
– … coup…
– Ca suffit, Otis ! lui hurla Shinetop qui se trouvait sur le pas de la porte de la prison.
Otis recula et retourna discrètement dans la pénombre du fond de sa cellule.
Le shérif s’approcha de ma personne (29), la main posée nonchalamment sur la poignée de son sabre. Il avait beau sourire, je savais que ce démon se questionnait sur le membre qu’il me découperait en premier. Mais finalement, il quitta le manche du sabre pour poser sa main sur mon épaule. Avec son autre main, il tentait de m’éloigner de la cellule d’Otis et de son influence négative à son sujet. Ses doigts… même à travers ma chemise Pierre Cradingue, je les sentais d’une froideur glaciale. D’un ton amical il me dit :
– J’espère que tu ne prends pas ce vagabond dégoûtant au sérieux. Il dirait n’importe quoi pour éviter de payer sa dette à la société.
D’un geste agressif, j’enlevai sa main de ma personne (30). Je ne me sentais pas souillé, mais j’avais un froid de canard.
– Tu ferais peut-être mieux de le laisser sortir, lui dis-je insolent. Il a l’air plutôt innocent.
Il dégaina vivement son sabre et me le pointa sous le nez. Ma pensée de cet instant ? « .. ?!… Jfdmfivmdca » !
– Toi, tu ferais peut-être mieux de t’occuper de tes affaires l’étranger. C’est moi qui décide qui est innocent et qui est coupable ici.
Mais pourquoi alors qu’il me parlait, voyais-je défiler dans ma tête toutes les étapes de ma vie ? Et pourquoi, lorsqu’il rengaina, le film s’arrêta net ? J’aurais bien aimé en connaître la fin ! Je déteste rater la fin de quoi que ce soit quand j’ai vu le début, et cela aussi nul que ce soit. Pas vous ?
– Ecoute, je ne sais pas quelles sont tes intentions mais d’après moi, elles sont probablement illégales. Alors tiens-toi bien.
Il s’éloigna en direction de la sortie. Dans l’encadrement de la porte il fit un volte-face impressionnant et pointa son sale index vers moi.
– Où que tu ailles sur cette île, je te surveille. Et si tu essayes de me singer, tu finiras ici pour de bon. Comme ce bon vieux Otis.
Et enfin, il quitta la prison. Otis par contre laissa enfin sa pénombre protectrice.
– J’te jure ! fit-il. Quel macaque celui-là ! Regarde-moi ce que je dois supporter en plus que d’être dans ce fichu trou !
– Moi c’est sa coupe de cheveux qui me gênerait le plus.
– Ouais. Mais après ce petit interlude, j’ai pu réfléchir à la situation : si tu n’es pas là pour me faire sortir, il vaut p’tet mieux que tu t’en ailles avant que nous ayons tous les deux des ennuis.
– Bon, très bien. Ravi de t’avoir connu.
Je pris la direction de la sortie. De toute façon, j’avais une petite commission à accomplir. Encore.
– Attends ! me cria Otis affalé sur ses barreaux. Si tu pouvais me rapporter quelque chose pour me débarrasser de ces rats ce ne serait pas de refus ! Je te donnerai un gâteau aux carottes que ma tante Tillie à fait. J’ai HORREUR du gâteau aux carottes.
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29. C’est un peu pompeux comme expression, mais ma mère trouvait que ça faisait classe qu’un pirate parle bien.
30. Bon, c’est la dernière fois, je vous le jure.