Les mémoires d’un pirate (046)

– Ecoute, me dit-il avec un sourire niais et pitoyable, sors-moi d’ici ! Je suis victime d’une société pourrie ! Il semblait aussi sincère qu’un pantin de bois au long nez.
– Et moi, répondis-je, je suis victime de ta mauvaise haleine !

C’était peu de le dire. Je m’écartai de la cellule et surtout de son haleine de viande  mâchée pourrie.

– Hé ! bouda le prisonnier. C’est dur de garder une haleine mentholée quand on ne mâche que du rat !

Par chance, il me restait encore quelques pastilles à la menthe en poche. Elles avaient perdu un peu de leur goût durant ma traversée de l’océan mais elles feraient l’affaire. Je lui en proposai une. Puis une autre. Et encore une. Et enfin une dernière.

– Elles sont si rafraîchissantes ! déclara le prisonnier en engloutissant la dernière. Merci bien ,mon ami.

Avant ça puait. Maintenant, il me semblait qu’un vent glacial me passait dessus. Je décidai
de faire avec.
– Qui es-tu ? lui demandais-je en claquant des dents. On aurait dit que j’observais une bête étrange. Si j’avais eu des cacahuètes sur moi je lui en aurais balancé un wagon.
– Je m’appelle Otis. Enfin je crois. Ca fait si longtemps que je suis ici que ma mémoire n’est plus très claire. Tu dois me sortir d’ici avant que je perde complètement la boule ! Tu ne vois pas que je suis innocent ?
– Ils disent tous ça… dis-je impitoyable.
– Je me suis fait piéger ! Je n’ai pas touché à ces maudites fleurs !
– Des fleurs ?
– Les fleurs jaunes de la forêt ! Il est interdit de les cueillir depuis que LeChuck s’en est servi pour droguer les chiens de garde du gouverneur et est parvenu à s’introduire dans son palais.

Nom d’un bouc sans corne ! Ce bougre venait-il de me donner la réponse à mes soucis ? Je sortis quelque chose de ma poche : les restes de pétales jaunes de la forêt que je n’avais pas jetés.

– Ca ne serait pas celle-là par hasard ?

Otis écarquilla les yeux et sembla tétanisé à leur simple vue. Il trébucha sur son derrière, paralysé, comme s’il se trouvait nez à nez avec un serpent !

– Remets ça dans ta poche avant que ce pourri de Shinetop ne te voie !

Encore ce maudit shérif.

– Il ne me fait pas peur, déclarais-je sans y croire.
– Vraiment ? fit un Otis tout tremblant. Pourtant, Fester Shinetop est sans aucun doute possible l’homme le plus cruel de toute l’île de Mêlée. Heureusement, la plupart du temps, le gouverneur a de l’influence sur lui.

Le gouverneur… Ah ! Comme si tous les hommes ne pouvaient que se plier devant sa beauté sans égale. Devant elle, chacun ne pouvait que rester la bouche grande ouverte et la bave aux lèvres… ce qui, je vous l’accorde, ne doit pas être une situation facile à supporter tous les jours. Pas étonnant qu’elle interdise aux pirates de se rendre à son palais: la bave ne part pas si facilement que ça des tapisseries.

Otis continua à me parler du shérif Shinetop, me faisant de troublantes révélations qui allaient permettre au moins de mettre un peu de suspense dans mes mémoires soporifiques :
– Avant, on avait un homme juste et bon comme shérif. Dans les cent-huit ans… petit et rabougris… il oubliait toujours tout avec sa mémoire défaillante de vieux bouc, comme par exemple l’endroit où il mettait les clés de la prison. Ce qui nous permettait de repartir avec un petit avertissement du genre : « Mon gars, la prochaine fois se sera la fessée déculotté en place publique, mais va pour aujourd’hui. Et ramène cette jambe à ta victime, OK ? ».

Vraiment sympa… Mais il est mort récemment dans des circonstances mystérieuses.

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