Les mémoires d’un pirate (043)

– Hé ! résonna une voix rocailleuse usée par le tabac. Je n’aime pas les visiteurs.

Un homme imposant d’une quarantaine d’années s’approcha de moi, l’air plutôt insatisfait. Quoique pour une fois je ne me retrouvais pas face à un géant, ce gaillard là, torse nu en plus, était une véritable armoire à glace. Tout comme Shinetop, il était complètement chauve. Son crâne lisse donnait l’impression que rien n’avait jamais poussé dessus. Il portait un banal bandeau de pirate sur l’oeil gauche et présentait un tatouage mignon tout plein de tête de singe sur sa solide poitrine.

Il posa les mains sur ses hanches et me fixa. C’est alors que je remarquai un détail du genre pas banal : ses mains n’étaient plus vraiment des mains. A la place, il portait deux immenses crochets. Pratique pour se curer le nez diraient certains, dangereux pour se gratter l’oeil, diraient d’autres.

– Qu’est-ce que tu veux ? me demanda-t-il en m’agitant ses deux crochets sous le nez.
Poliment je répondis :
– Je suis un pirate, tête de boulet de canon. Je m’appelle Guybrush Threepwood. Et toi,
qui es-tu ?
– Je m’appelle Arnold Meethook… et je n’aime pas ton attitude arrogante ! me dit-il en
croisant les bras.
– Et moi, je n’aime pas ta coupe de cheveux ! dis-je pour détendre l’atmosphère.

Mais cela ne fit pas rire Meethook qui au contraire me lança même un regard de dégénéré.

Etrange, il avait beau être gros et terriblement costaud, il n’avait rien d’effrayant. Au contraire, il semblait aussi sympathique qu’un singe en peluche.

– Enfin ! fit Meethook après ma judicieuse remarque. Tu ne sais pas quand t’arrêter ?
– Ton coiffeur non plus, apparemment…

Il me regarda étonné, touchant son crane qui, vous l’aurez compris, était du genre dégarni.

– Tu es toujours aussi arrogant ! me cria l’homme.

Non. Il n’était pas bien méchant.

– Excuse-moi, dis-je alors. J’essayais juste d’être marrant.

Meethook le prit plutôt bien puisqu’il me lança un sourire amical.

– Ca n’est rien, me dit-il. Et puis je préfère avoir une tête de boulet de canon qu’une queue de cheval !

Et il se mit à rire, et pour ne pas paraître impoli, je fis de même :
– Ha, ha, ha (pauvre débile). J’en pleure de rire. Au fait, je voulais te traiter de dôme en chrome (et toc !).

Il sembla surpris, leva son crochet au-dessus de sa tête et… le tapa sur son genou en s’esclaffant. Au bout d’une minute, il parvint à reprendre son souffle et son sérieux et me confia les larmes à l’oeil :
– Je vois que tu as le sens de l’humour. J’aime les gens qui ont le sens de l’humour, tu
sais ?
– Nooooon ? C’est vrai ?
– Je t’assure ! D’ailleurs, tu veux voir quelque chose de drôle ?
– Quoi donc ? Une photo de toute ta famille chauve ?

Je ne sais pas pourquoi mais ça le fit moins rire. Pas du tout même. Comme quoi, un
chauve ne sourit pas toujours. Sa mère était peut-être vraiment chauve ?

– Non… fit-il furax. Par contre, continua-t-il d’un coup tout heureux, vise un peu ça :

Dis bonjour au monsieur !
A qui parlait-il ?

– Bonjour monsieur ! dit le tatouage sur sa poitrine d’une voix de fausset.

Marrant ! En contorsionnant son corps, il avait donné l’impression d’avoir fait bouger les lèvres du singe tatoué sur son gros poitrail pas du tout velu mais musclé. Chauve de partout on dirait… Un pirate ventriloque et fier de l’être. C’était peut-être ça le plus marrant de l’histoire.

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