Les mémoires d’un pirate (042)

Elaine Marley, gouverneur de l’île de Mêlée, sortit de derrière son paravent. Elle se tenait désormais devant le shérif Fester Shinetop. Comme troublé par sa présence, il ne pût formuler une phrase correcte… voire pousser le moindre mot. Il baragouinait un langage que lui-même ne comprenait pas. Il faut dire que le gouverneur était purement angélique dans sa robe de chambre blanche et nacrée en satin. Ce n’était qu’une jeune-fille, vingt ans tout au plus, mais on sentait déjà chez elle une véritable force, cette personne avait déjà bien la tête sur les épaules. Et le shérif ne savait pas si c’était cette force ou bien son insaisissable beauté qui le troublait le plus.

– Je n’ai pas vu ton ours en peluche, dit-elle à son shérif, mais je doute qu’il soit différent du mien !
– Je sais, gouverneur… C’est ridicule… Mais je sens que les ennuis nous guettent.

Le gouverneur enfila ses belles pantoufles à tête de caniches-piranhas. Elle lui dit :
– J’apprécie énormément ce que tu fais pour moi Fester…

Elle caressa amicalement la joue d’apparence rugueuse mais néanmoins étrangement lisse du shérif, ce qui lui fit prendre de nouvelles couleurs. Il ressemblait à un homard.
Elle continua :
– … mais parfois, j’ai l’impression que tu en fait trop.
– Que j’en fais trop ? s’écria l’homme de loi surpris.
– Nous sommes sur une île de pirates, Fester ! Ses habitants sont là pour enfreindre la loi, pas pour la respecter ! Nous sommes dans une principauté, là où tous les brigands peuvent dormir sur les oreilles qui leur restent !
– Mais… à quoi je sers alors ?

Le gouverneur regarda le shérif Shinetop en lui faisant comprendre son rôle de chrysanthèmes. Fester poussa un grognement étouffé que le gouverneur ne put entendre. Il se dirigea vers la sortie furibond.

– Bien, dit-il. Mais ne vous plaignez pas si on vous refait le coup de LeChuck.

Sur ce, il quitta le palais en claquant la porte si violemment que le courant d’air souleva la nuisette du Gouverneur, pour le plus grand plaisir des voyeurs planqués derrière les rideaux des fenêtres.

La fête foraine était située sur un petit îlot légèrement éloigné de la côte Nord-Est de Mêlée. Une pancarte indiquait fièrement et lumineusement « Meethookland ! Attractions principales : le train fantôme, le Mêlée Wars Tour, LA BÊTE… » Ca semblait très chouette en somme. Traversant le fragile pont qui reliait les deux rivages, je me demandai à tout hasard si les requins en dessous de moi faisaient partie d’un décor ou pas. Bah ! De toutes manières, j’avais toujours mon poulet en plastique avec une poulie au milieu pour me défendre au cas où. J’avais récupéré l’objet après mon féroce combat contre Carla, car même si j’ignorais toujours et encore à quoi un tel objet pouvait servir, il m’avait sauvé la vie. Je lui devais bien ça. Et puis je n’avais plus d’épée, je ne pouvais quand même pas me promener sur une île de voyous complètement désarmé.

Le brouillard cachait la fête foraine de la côte, et quelle ne fut pas ma surprise en l’apercevant : une vieille épave de bateau échoué sur l’îlot on ne sait trop comment. Le capitaine devait sûrement être une femme (28).

J’aperçus l’entrée, une petite porte couverte de moules, trop paresseuses pour quitter les lieux. J’ouvris la porte et pénétrai dans une chaleureuse demeure. Rien à voir avec un parc d’attraction. Juste une immense et unique pièce montée sur deux étages. En haut, la chambre à coucher, en bas, une sorte de grand salon bien aménagé. Au fond, un grand tunnel et une immense porte blindée d’au moins cinq mètres de diamètre.

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28. Car comme chacun le sait : « Femme au volant, le port en s’cognant » !

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