Les mémoires d’un pirate (028)

– Sauf moi ! fit une grosse voix roque de femme alors que je mettais l’objet tant chéri dans mon sac.

La voix provenait du fond de la pièce, plus obscure encore que la ruelle. Mon estomac se noua et ma respiration s’accéléra. J’eus la même impression que le jour où l’épicier m’avait surpris à voler des bonbons au poivre. Un flagrant délit. Mais… avais-je rêvé ou la voix avait lu dans mon esprit ?

Dans un grand flash de lumière, une grosse femme noire africaine vêtue de vêtements aux couleurs psychédéliques siégeait sur un trône en os… humain, peut-être ? La seule lumière qui nous éclairait à présent provenait d’une fumée translucide bleue et verte fluorescente qui s’échappait du sol.

On aurait pu confondre le bruit de mes genoux qui s’entrechoquaient inlassablement avec celui de castagnettes. Mais pourquoi donc avais-je volé ce maudit poulet en plastique (avec une poulie au milieu quand même) ? En plus… à quoi pouvait servir ce bidule ?

– Ahhh… souffla la femme. Je vois que tu te sens coupable d’avoir volé mon poulet.
– Oh oui, oh oui, oh oui !
– Garde-le. Je t’en fais cadeau.

Une telle générosité paraissait plus que louche chez le commun des mortels. Sur une île de pirates c’était surtout un geste criminel.

– Pourquoi n’en veux-tu pas ? lui demandais-je d’une voix fébrile. Est-ce qu’il est victime d’une malédiction vaudou ?
– Non… répondit-elle lasse. La poulie grince, c’est tout.

En tout cas j’avais un peu raison. Elle me le donnait uniquement parce qu’il avait un défaut. J’aurais pu m’enfuir subitement d’ici, mais cette voyante lisait en moi comme dans un livre de la bibliothèque rose. Elle répondit alors à une question que je n’avais même pas encore eu le temps d’imaginer :

– Je m’appelle Lady Voodoo et toi…
– Moi c’est…
– Non ! Attends une minute ! Ne me dis rien. Je peux voir ton nom… Guybrush… Guybrush Nosehair…

Si même les voyantes écorchaient mon nom on était frais…

– Non… Threepwood, se corrigea-t-elle immédiatement. Guybrush Threepwood. N’ai-je pas raison ?
– Un coup de chance. La moitié des gens que je connais s’appellent Guybrush Threepwood, lui rétorquais-je faisant preuve d’une mauvaise foi évidente.
– Je te conseille d’avoir l’esprit ouvert. Cela pourra t’aider pendant ton voyage.
– Un voyage ? m’écriais-je soudain enthousiaste. Que peux-tu me dire à propos de ce voyage ?
– J’ai une vision…

La voyante parlait lentement, prenant le temps de se concentrer intensément. Levant les bras au ciel, elle prononça des mots dans une langue qui m’était inconnue. Je découvris que la fumée fluorescente sortant du sol provenait en fait d’une grande marmite lorsque celle-ci s’éleva dans les airs. Jolie marmite en forme de crane de singe, cela dit en passant. On avait l’impression qu’un orage tonnait près de ce lieu.

– Vous ne vous sentez pas bien ? m’inquiétais-je.
– Je te vois… tu pars en voyage… un long voyage… et court à la fois… tu es à la tête
d’un navire.
– Fabuleux !

C’était bien le mot ! Mon avenir semblait rayonnant. J’étais pirate, et capitaine de surcroît !

– Oh ! s’exclama-t-elle découvrant quelque chose dans mon avenir.

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