Les mémoires d’un pirate (023)

– Donne-moi une bonne raison pour que je ne te transperce pas de ma lame ? hurla la tornade humaine.
– En fait, je suis ici pour les affaires. Un garçon est venu dans ma boutique…

J’appréciais que le vieux daigne parler de moi à l’illustre Reine et je m’en voulais presque de l’avoir filé jusqu’ici, trahissant ainsi sa confiance. Je dis presque car il fut vite interrompu :

– Sois honnête, le stoppa Carla, espèce de vieux croûton vicieux et délabré… n’importe quelle raison est bonne pour venir me déranger.
– T’as de beaux yeux quand tu es en colère, souligna le marchand en faisant une moue sexy et provocante.
– J’en ai assez ! Disparais et ne reviens plus jamais me voir ! Quelqu’un pourrait te suivre, et après je deviendrais une nouvelle attraction touristique sur cette île de zonards.

Souviens-toi de la famille Paparazzi qui t’avait grugé comme un enfant ! Ils n’arrêtaient  pas de m’épier, attendant que je me promène nue en forêt comme j’aime le faire. Oui ! J’aime me promener nue en forêt pour communier avec la nature !

Pourquoi insistait-elle sur le mot « nue » ? On avait compris. En tout cas, quelle bande d’ordures ces Paparazzi ! Guetter une pauvre femme toute la journée à son insu… Comme si c’était leur travail d’épier les gens !

– Comme tu veux, fit le vieux marchand. Mais tu verras chérie, je vais te manquer…
– Dégage vieux bouc !
– Hé au fait : tu ne trompes personne avec l’histoire des Paparazzi. Tout le monde le sait bien que tu étais de mèche avec eux pour qu’ils te fassent une jolie réputation !
– Espèce de…

Carla attrapa une bûche de cheminée et la lança sur le marchand. Ce dernier, probablement habitué, n’eut aucun mal à l’éviter et à prendre la poudre d’escampette. Bravo ! Maintenant il l’avait vexée ! Comme si on pouvait être de mèche avec des gens pareils ! Pff !

Bon… C’était mon tour il me semblait. Le sabre sur la hanche, je sortis de mon buisson après avoir chassé les deux étranges bestioles qui étaient rentrées dans mon pantalon.

En m’apercevant, la Reine du Sabre posa la main sur le manche de son sabre, se  préparant à dégainer. J’avais comme l’idée qu’il ne serait pas si simple de battre une pro  du genre.

Après tout, je maniais l’épée comme je maniais l’humour, c’est-à-dire plutôt mal. Je me demandais d’ailleurs si je ne m’étais pas précipité dans un beau guêpier.

– Comment oses-tu t’approcher de la Reine du Sabre sans permission ? dit la belle effarouchée.

Et bien ! Elle parlait d’elle à la troisième personne ! Encore une beauté qui sait qu’elle est une beauté et qui profite de sa beauté pour botter les fesses des hommes. Mon père appelait ce genre de personne : « une belle salopeuuuuuuh » (18). Mais je n’étais pas là pour la juger mais pour embrocher l’embrocheuse de l’île.

– Je m’excuse, dis-je, mais j’ai fait tomber une pièce de huit dans les environs et…
– Tu parles ! fit-elle en fronçant les sourcils. Sois franc : tu es venu ici pour prouver au conseil des pirates que tu peux être tout aussi cruel qu’eux.

Bigre ! Elle venait de déjouer l’une de mes meilleures feintes ! Pris au dépourvu, voilà que mon effet de surprise tombait à plat. Ca n’allait pas être aussi simple que je l’imaginais.

– Quel était ton niveau au cours du capitaine Smirk ? me demanda-t-elle soudainement.

Voyant mon air béat de dégénéré, la Reine du Sabre me dit incrédule :
– Ne me dis pas que tu viens ici pour défier la Reine du Sabre de l’île de Mêlée – indiscutablement la plus fine lame de toutes les Caraïbes – sans avoir pris une seule leçon ?

Cette habitude de parler de soi-même à la 3eme personne du singulier était vraiment désagréable.

– Comment penses-tu te défendre ? demanda la jeune femme.

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18. A lire avec un accent du sud de la France.

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