Les mémoires d’un pirate (015)

– Malheureusement, je ne peux pas le faire. Je me suis fait mal à la main en domptant le
lion, répondit l’autre imberbe et sans accent.
– Tu ne peux pas comparer une petite égratignure avec mes allergies chroniques. Allez, monte dans ce canon.
– Tu mens ! Tu n’as aucune allergie, espèce de comédien ! Monte dans ce canon !
– Peut-être. Mais tu n’es pas dompteur de lion non plus. Alors : tu y vas !
– Non : TU y va !

Ces deux types étaient habillés de la manière la plus épouvantable qu’il soit : des couleurs d’un vif aveuglant, l’un en vert, l’autre en rose, avec des sortes de collants moulants et à paillettes. Les clowns du cirque ? Leur conversation en tout cas était du genre épicé.

– Lâche ! fit le moustachu en rose.
– Espèce de raté ! lui rétorqua le type en vert.
– Brute !
– Snob !
– Espèce de renard !
– Doryphore !
– Vaurien !
– Crapaud !
– Topinambour !
– Hors-la-loi !
– Tête de bourrique !
– Tête de lard !
– Tête d’épingle !
– Tête en l’air !
– Fromage de tête !
– Sorcière !
– Ca va pas, débile ?

C’est alors que le type en rose fit une chose extrêmement amusante. Le genre de truc qui avait les plus grandes chances de rester ancré dans l’histoire et de faire rire des  générations entières : il était tard et ils venaient de dîner, il restait sur une table une belle  tarte à la crème miraculeusement épargnée. Et bien, croyez-le ou pas mais l’homme en rose s’en empara soudainement et la jeta au visage de son interlocuteur. Y fallait voir ça, c’était rigolo !

– Ta mère porte des bottines de combat ! hurla l’homme en vert ce qui déplut fortement à l’autre en rose qui lui jeta cette fois un plat de spaghetti.

Bizarre… Ca faisait moins rire qu’avec la tarte. Peut-être parce qu’ils n’étaient pas al
dente ?

– Laisse ma mère tranquille et sois raisonnable : MONTE dans ce canon.
– Tu n’es qu’une poule mouillée !
– Et toi un poulet crevé !
– Oui, mais toi tu es un poulet crevé avec une poulie au milieu ! (13).

C’est à peu près à cet instant que je les coupais net dans leur élan :

– Où sont les toilettes ?

Je ne sais plus si j’avais dit ça pour simplement les interrompre ou par nécessité. Mais  une chose est certaine, c’est bien cela que j’ai osé dire ce soir là.

Les deux bouffons se tournèrent vers moi surpris.

– Au fond à droite, me répondit le type en vert.
– Merci, leur répondis-je poliment.

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13. J’ai longtemps hésité avant de retranscrire cette phrase authentique et toute la violence qui s’en dégage. Vous savez, la censure ne rigole pas avec ce genre de choses. Mais peut-être que les générations futures liront mon récit en intégralité, sans coupure  navrante. Mais tout de même : quelle insulte !

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