Les mémoires d’un pirate (014)

Un bruit d’os résonna dans la chambre : c’était le squelette qui croisait ses minces doigts.
Sentant une nette hésitation en celui qu’il avait nommé au hasard son second, LeChuck jugea nécessaire de le questionner plus en profondeur sur son existence psychologique spectrale.

– T’es content d’être mort, non ? demanda l’ignoble d’un ton menaçant.
– Oh oui, mon capitaine. J’ai eu tellement de chance que vous ayez capturé mon navire, tué tout le monde à bord… (il inspira fortement) Quelle chance !

LeChuck le fixa d’un oeil satisfait et sourit, détournant son regard du pauvre damné. Libéré du poids étouffant des yeux de son capitaine, il put enfin souffler.

– Je suis content de te l’entendre dire, reprit LeChuck. Pourquoi me déranges-tu au juste ?

Voilà. Il avait posé LA question.

– Ah oui… marmonna le spectre faisant mine d’avoir oublié le but de sa venue, et bien, il se peut que nous ayons un problème sur l’île de Mêlée.

LeChuck se retourna brusquement et s’agrippa au collet de son spectre de main.

– Un PROBLEME ?! gronda-t-il. Quel genre de problème ? (il réfléchit un bref instant songeant qu’il ne pouvait y en avoir puisque) Ces pirates froussards ont à présent si peur de l’eau qu’ils ne se lavent même plus !

Et moi qui avais peur de sentir le poisson après ma petite traversée.

– A vrai dire, fit le second tentant de se libérer des griffes du monstre, il y a un étranger au village (pour ceux qui ont du mal à suivre, c’était de moi qu’ils parlaient). Il est jeune, sans
expérience : il est sans aucun doute inoffensif. Je n’aurais même pas dû vous en parler.  Je vais m’en charger personnellement.

LeChuck lâcha le spectre.

– Je préfère me charger de lui moi-même, dit-il l’air songeur. Je ne vais pas laisser un petit amateur gâcher tous mes projets.
– A vos ordres capitaine, dit le squelette avant de déguerpir sans tarder.

Bougre de chance ! Son capitaine l’avait épargné. Il s’en était sorti indemne. A l’exception, bien entendu, de certains de ses doigts qui avaient sauté, à force de les croiser.

« Guybrush Threepwood ». J’étais le premier à défendre la belle locution de mon doux nom. Mais il fallait me rendre à l’évidence : c’était un nom tout juste bon à vendre des chaussures. Devais-je réellement le changer en « Barbapeur », « Sixdoigts » ou «  Corserator » afin de me faire un nom ? Diantre, j’espérais bien que non ! Ma mère en avait tant bavé pour me trouver un prénom aussi original ! Si j’avais été une fille, elle m’aurait appelé Robert. Ben quoi ? C’est aussi très original je trouve ! Vous connaissez beaucoup de filles qui s’appellent Robert vous ? Non ? Alors maintenant, laissez-moi continuer mon palpitant récit au lieu de m’interrompre à tout bout de champ !

J’avais besoin d’argent. Pas de grand chose mais d’au moins suffisamment pour  m’acheter le nécessaire minimum du pirate. Je n’avais pas beaucoup de choix pour en gagner. C’était soit la prostitution, soit la fabrication de fausse monnaie, soit ça : « Le Maxi Mêlée Circus cherche un cobaye (le mot avait été barré puis remplacé par « volontaire ») pour les préparatifs du spectacle de demain soir. Bon salaire proposé. ». Pourquoi pas ? Moi qui aimais le cirque. Je n’avais jamais autant ri que le jour où le pingouin carnivore avait dévoré le clown. Je m’en souviens très bien, une de ses chaussures dépassait de son bec tout fin ! Mais peu importe.

J’entrais sous un gigantesque chapiteau illuminé. Je surpris alors deux drôles de types dans une conversation musclée. Ils ne m’avaient pas vu. A croire qu’ils étaient tous  myopes sur cette île.

– Je veux bien rentrer dans le canon, mais la poudre à canon me fait éternuer, dit le
moustachu avec un atroce accent italien.

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