Les mémoires d’un pirate (013)

– Tu pourrais t’excuser au moins minus, me déclara-t-il sans honte.

Il me releva d’une main, avant de m’envoyer son poing dans la figure. Avant ces deux actions rapides (surtout la seconde d’ailleurs) je pus entrevoir ce petit farceur. « Petit » était bien vite dit : il devait bien mesurer deux mètres, ce gars. Vêtu tout de vert, pour assortir avec la couleur de sa langue sans doute, ce type avait tout d’une terreur à un gros détail près : sa tête d’abruti endormi. Dieu que ses paupières donnaient l’impression d’être lourdes ! Difficile d’être pris au sérieux dans de pareilles conditions. Lorsqu’il me sourit insolemment, je pus admirer les chicots de ses dents, noirs comme des cafards, assortis cette fois à ses bottes qui semblaient elles-mêmes s’assortir avec mon derrière… Il  m’envoya son plus beau coup de pied dans le postérieur, ce qui me releva illico. Il  m’attrapa alors par le cou.

– T’es qui toi ? T’es un nouveau je crois ?
– Threepwood. Guybrush Threepwood.
– Et bien Guylache, en garde!

Il sortit son sabre et me le pointa sous le nez. Je commençais à avoir une envie pressante

lorsque je lui dis :
– Guybrush ! Pas Guylache !
– Tu portes encore des couches ?
– Je vous demande pardon ?

L’homme redressa son sabre et sectionna en deux coups rapides, mais pas autant que les gifles de ma mère, les boutons de ma culotte. Encore plus rapidement, je rattrapais mon froc avant qu’il ne dévoilât trop mon intimité. Mine de rien, je venais de sauver ma réputation : je portais en dessous un caleçon avec des oursons ce soir là. J’ai honte.

– Saches que je me nomme Larry Goodnight. La plus fine lame de l’île, après notre Reine du Sabre, bien entendu.

Il me donna une tape amicale sur les épaules.

– Bienvenu sur l’île de Mêlée mon gars ! Et bonne chance pour tes épreuves !

Oui. J’allais en avoir besoin.

Pendant que je rafistolais mon falzar, ailleurs, au plus profond de l’île aux singes, un navire fantôme était ancré dans une rivière de lave. Il hébergeait une tripotée de spectres lugubres. A leur tête, LeChuck bien sûr, revenu du royaume des morts ou plutôt : pas  encore complètement parti de celui des vivants.

Le bonhomme était dans sa cabine, face à sa fenêtre comme il aimait se mettre pour méditer. Il trouvait qu’il avait l’air beau de cette manière. Je ne ferai aucun commentaire là dessus. Le vent chaud glissait entre les poils de sa barbe bleue et spectrale. Lentement, ses tifs se calcinaient, expliquant la présence de cette maudite odeur de poulet grillé qui empestait la chambre. Il était bien en chair… enfin, surtout pour un fantôme. Pas vraiment squelettique, plutôt gras. Ses vêtements n’étaient plus que de vulgaires haillons et son chapeau ridiculement trop large pour son crâne dégarni de peau. Bien que de taille modeste, dans les un mètre soixante-dix, il en jetait le bougre. Il avait un je ne sais quoi qui le rendait terrifiant. Un moustique n’aurait pas osé le piquer. Quoi qu’il n’ait plus de visage, sa barbe lui redonnait un ton plus humain. Plus animal, devrais-je dire.

Un squelette, second du navire, entra subitement dans la cabine de LeChuck. Rien de notable chez lui, sinon une jambe de bois qui l’avait pour son malheur accompagné dans l’au-delà.

Son crâne vide d’expression semblait en dire peu sur ce qu’il ressentait en dérangeant son capitaine. Mais le fait qu’il tremblât de tous ses membres découverts indiquait qu’il n’apportait pas des nouvelles bienvenues. Ca énerverait le capitaine, à coup sûr !

– Capitaine LeChuck… tenta timidement le second comme approche… mon capitaine, je…
– Haaa… Rien ne vaut le vent chaud de l’enfer qui caresse le visage.

En plus, il était de bonne humeur. Sa colère n’en serait que plus grande.

– Oui, mon capitaine, reprit le squelette hésitant. Rien ne vaut ça. Ha… mon capitaine, je…

LeChuck se retourna subitement vers son second.

– Il y a des jours où j’apprécie vraiment d’être mort, déclara-t-il.
– Oh oui mon capitaine, répondit le squelette sans réelle conviction. Ca fait du bien d’être mort.

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