Les mémoires d’un pirate (128)

– Je crois que je suis garé en double file ! A bientôt ! lui dis-je en partant en courant vers la sortie.

Le monstrueux obèse me balança son gros poing mais je l’évitai par miracle en glissant sur une peau de banane qui traînait ici par je ne sais quel miracle. Ce coup n’épargna pas par contre les malheureux piliers derrière moi. Ils éclatèrent en mille morceaux devant les spectateurs qui observaient la scène, paralysés. Soudain, une grosse masse bien connue passa au travers du fragile toit en criant :
– Meeeeeeerde !

Otis s’écrasa sur une rangée d’invités comme un vieux sac de pommes de terre.

LeChuck comprit alors qu’il risquait de tomber dans un guet-apens.

– Ils sont plusieurs ! cria-t-il aux invités. Trouvez-les !

Il remarqua sans mal le reste de mon équipage au fond de l’église.

– Les voilà ! cria-t-il en les désignant de son index osseux. Massacrez-les !
– Ca se gâte ! déclara Goodnight en arrachant le sabre au fantôme sur sa droite.

Otis fit de même. Il s’accapara l’épée plantée dans le dos de l’un des spectres sur lequel il était tombé. Meethook lui, n’avait besoin d’aucune arme pour se défendre, sa force et ses crochets faisant largement l’affaire.

Carla envoya son épée sur une horde de fantômes qui lui fonçaient dessus. En coupant une première tête, elle envoya celle-ci frapper contre une seconde puis une troisième… une véritable réaction en chaîne s’opéra (48) , permettant à mes braves de gagner un peu de temps. Quant à moi, je continuai à éviter les énormes poings de mon adversaire qui allait tout démolir s’il continuait à viser aussi mal. Mais qui s’en plaindrait ?

Mes compagnons tentaient de se regrouper vers les escaliers de bois qui menaient au système anti-incendie. Otis avait-il accompli le travail que je lui avais demandé ? Je l’espérais, sinon c’en était fini de nous. Plusieurs spectres s’envolèrent vers eux mais ils furent catapultés par-dessus la rampe aussi sec. Ils avaient beau être plus nombreux, ils n’avaient pas la fougue de mes hommes de main, ni la paire de seins de ma femme de main qui s’en servait pour les dégager à plusieurs mètres. J’ai toujours dit que la poitrine des femmes était une véritable arme ! Je comprenais enfin pourquoi on la surnommait la Reine du Sabre : elle n’hésitait pas à combattre trois, voire quatre fantômes en même temps. Et elle leur envoyait une sacrée volée en leur lançant des insultes de vulgarité jusqu’alors insoupçonnées. Lorsqu’elle se retrouva entre deux spectres, elle sauta pour éviter le revers de sabre du premier qui coupa en deux le second derrière elle. Pendant que le premier s’excusait de cet accident, Carla en profita pour lui faire sauter à son tour son petit crâne de piaf.

– Tu n’aurais jamais dû venir interférer dans mes plans ! me cria LeChuck en démolissant une rangée entière de bancs.

Je sautai de justesse pour éviter le coup en m’accrochant à un lustre de bois.

– Ca te dirait une offre en échange de la mariée ? lui proposais-je à tout hasard.
– Un butin pour ma beauté ? hurla-t-il encore plus déchaîné.

Des éclairs jaillirent de ses mains et coupèrent instantanément la chaîne qui reliait le lustre au plafond. Je m’écrasai à-terre en disant « Aïe » avant de me redresser au plus vite. D’autres éclairs jaillirent de ses mains et me percutèrent cette fois de plein fouet. Il me propulsa vers le grand vitrail situé au-dessus de l’autel. Je me retrouvai dans la petite ruelle. Là où j’avais rencontré LeChuck travesti en shérif Shinetop pour la toute première fois.

– Je vais te mettre au courant, moi ! cria le vilain en s’envolant vers ma direction.

Il me souleva du sol et m’aida à m’épousseter. Puis tout à coup il fut bousculé par deux petits singes poursuivis par Elaine. Il alla se casser la figure contre un mur puis se retourna furieux vers moi. Quelle ne fut pas sa surprise quand il se rendit compte que je le menaçais avec la bouteille de bière de racine des deux macaques. Pour la première fois de sa mort, le bouffon LeChuck avait une trouille à en crever une seconde fois.

————————-

48. Normal, pour des fantômes, non ?

Les mémoires d’un pirate (127)

A ces mots, tous les spectres présents dans la salle, commencèrent à avoir peur pour leur mort. Ils se levèrent tous et étaient prêts à déguerpir au moindre danger. Peu à peu, la panique s’emparait d’eux.

– Je vais récupérer la bouteille, dis-je en m’approchant des deux singes.

Mais à peine avais-je fait un pas vers eux qu’ils partirent comme deux furies. Oups.

– … c’est raté… dis-je à Elaine.

Les spectres dans l’église laissèrent échapper un grand soupir.

– Bien joué Guybrush ! me gronda le gouverneur. Maintenant, je dois les poursuivre pour récupérer ma bière de racine vaudou.

Elle partit tranquillement de l’église en demandant pardon à tout le monde, nous laissant, LeChuck et moi, complètement sur le carreau et sur le postérieur.

– Mais… fis-je… je… hein… que…

LeChuck fit une grosse grimace. Il me poussa de ses deux mains, me forçant à reculer de plusieurs pas.

– Tu as du culot de venir ici pour me provoquer, espèce de freluquet, me cria-t-il. Je n’en reviens pas de ta stupidité.

Il me poussa encore un peu.

– Je devais à tout prix t’empêcher d’épouser le gouverneur Marley, expliquais-je à LeChuck.

Dans la salle, personne n’osait vraiment broncher. Seuls Carla, Meethook et Goodnight tentaient discrètement de s’approcher du système anti-incendie.

– Je me marierai avec elle si je le veux ! répliqua LeChuck. Comment crois-tu m’en empêcher ?

Il me poussa contre un pilier de marbre de l’église.
– Fais attention, je pourrais très bien te taper avec un poulet en caoutchouc ! le menaçais-je.

LeChuck fut comme figé.

– Avec une poulie au milieu ? me demanda-t-il à tout hasard.
– Oui, c’est ça.

Cet objet était curieusement populaire dans le coin, vous ne trouvez pas ? Cela dit, il se mit soudainement à trembler comme une feuille et implora mon pardon.

– Trop tard ! lui dis-je. Subis ma vengeance !

Je portai la main à ma poche puis réalisai que j’avais sacrifié mon arme la plus dangereuse dans la marmite du Singe des Mers.

– Alors ? fit LeChuck à genoux.
– Tu vas rire, mais je crois que je ne l’ai plus.

Le pirate fantôme se redressa soudainement en me souriant. Il sortit son sabre hors du fourreau qu’il n’avait même pas quitté pour son mariage et me le plaça sous la gorge. Il s’apprêtait à me tailler un beau sourire lorsque soudain, il me foudroya du regard en grognant :
– Une mort si rapide serait malvenue, dit-il à l’assemblée.

Il jeta son épée au loin qui trancha au passage la tête de quelques invités. Elle se traîna jusqu’aux pieds de la Reine du Sabre qui ramassa sans attendre un tel cadeau.

– Battons-nous d’homme à spectre, me dit LeChuck.

Je me mis à ricaner d’un ton insolant. Je retroussai mes manches et exposai mes muscles au public.

– Je tiens à te prévenir mon petit LeChuck que je suis une force de la nature, l’avertis-je fair-play.

Les poings de LeChuck grossirent soudainement, jusqu’à atteindre l’ampleur de grosses masses !

Les mémoires d’un pirate (126)

LeChuck se retourna vers celui qui avait osé douter de sa virilité. Ce gars là, c’était moi. Je n’avais pu me retenir.

– Bon sang ! marmonna Carla en me voyant avancer d’un pas décidé vers l’autel.
– Qui êtes-vous ? demanda le prêtre abasourdi.

Arrivant devant LeChuck, je passai ma main sur le visage pour dégager cette farine qui masquait mes vraies couleurs. Il n’en revenait pas de me voir vivant, et de venir en plus gâcher le plus beau jour de sa vie à égalité avec le jour où sa mère lui avait offert un super camion de combat rouge pour son trentième anniversaire. C’est étrange ? Elaine ne s’était même pas retournée vers moi. Elle restait plantée devant l’autel sans bouger d’un poil. Ces maudits fantômes avaient dû la droguer !

– Ca par exemple ! s’écria LeChuck en reconnaissant mon magnifique visage.
– Tu ne te marieras pas avec le gouverneur ! lui lançai-je.

Mes compagnons ne savaient plus où se mettre. Ils devaient se demander, à juste titre, ce qui m’avait pris pour risquer de faire foirer toute l’opération.

– Ah oui ? fit LeChuck. Et comment crois-tu m’en empêcher ?

Soudain, une longue corde descendit du plafond de l’église. A la surprise générale, le gouverneur en descendit avec grâce, non pas dans une robe de mariée, mais sa tenue habituelle de flibustier.

– Gouverneur ! m’écriai-je en la voyant se réceptionner au sol.

LeChuck tira un regard des plus étonnés. Il regardait de ses yeux éberlués le gouverneur et son double en robe de mariée.

– Gouverneur ? s’écria-t-il à son tour devant le regard surpris des spectateurs.

Alors que Goodnight jurait de ne plus toucher à la boisson, le vrai gouverneur se mit à me parler en me regardant tendrement.

– Oh, Guybrush, espèce de fou inconscient ! Je suis impressionnée par ton courage, mais ce n’était pas du tout nécessaire. J’avais la situation bien en main. Malheureusement, ton arrivée me force maintenant à montrer mon jeu.
– Comment… qui… mais… quoi… je… oh… baragouinait LeChuck dont l’esprit n’avait toujours pu assimiler un tel dédoublement.
– Comment es-tu arrivée à t’échapper ? demandais-je à Elaine.
– Ce n’était pas difficile. LeChuck est un bouffon.
– Tu permets ? fit la personne concernée plutôt vexée.
– Comprends-moi Elaine ! Si j’ai fait tout ça, c’est parce que je pensais que LeChuck allait se marier avec toi !
– Oui. Et moi aussi ! lui confirma l’ex-futur époux.
– Oui, lui aussi ! fit Elaine. Mais j’allais surprendre tout le monde au moment où le marié embrasse la mariée.
– Comment ça ? fis-je. Qui porte ta robe de mariée ?

Nous nous retournâmes tous vers la fausse Elaine. LeChuck se calma un peu mais continua à grommeler tout bas. Il commençait à se dire qu’on cherchait à se payer de sa tête.

La mariée voilée se retourna vers nous à son tour. Elle enleva délicatement son voile. Mais bouillant d’impatience, LeChuck arracha lui-même les vêtements de cette contrefaçon. Deux singes sympathiques étaient cachés en dessous, l’un étant dressé sur les épaules de l’autre ! Celui qui tenait son compagnon était tout noir, l’autre étant d’une teinte grise-blanche. Celui du haut portait un pichet avec vaporisateur à la main. De la bière de racine ?

– Par le diable en petite culotte ! s’écria le fantôme LeChuck qui n’était décidément pas au bout de ses surprises.
– Ne leur fais pas peur ! me dit Elaine d’une voix douce. Ils ont ma bouteille de bière de racine anti-fantôme.

Les mémoires d’un pirate (125)

Il s’avança vers l’église, et cette fois son camarade fantôme ne sembla pas vouloir l’en empêcher. Mais alors que nous étions presque entrés dans l’église, Headaches lui posa LA question :

– Si tu es un fantôme comme tu veux l’insinuer, prouve-le-moi. Je veux te voir jongler avec ta tête.

Otis grimaça, se retourna vers nous, puis de nouveau vers ce maudit fauteur de troubles.

– J’ai une meilleure idée, dit Otis : je vais plutôt jongler avec cette bouteille de bière de racine !

Je lui lançai la bouteille qu’il attrapa au vol. Avant que Headaches n’ait le temps de réagir, Otis lui aspergea une giclée dans la bouche. Le corps du malheureux se désintégra aussi sec.

Son sabre coincé dans sa caboche resta suspendu en l’air un instant, avant de tomber lourdement sur le sol. Ne restaient plus que des jambes qui les auraient pris à leur cou si elles en avaient eu un. Au lieu de ça, elles se mirent à nous faire un numéro de claquettes.

– Il manquait cruellement de conversation celui-là, déclara Otis en me rendant la bouteille.

Excellent gargarisme en tout cas ce bidule. On y va ?

La voie étant libre nous pûmes enfin entrer dans l’église. Les jambes continuèrent à faire leur numéro toutes seules mais nous n’y prenions pas garde. Je songeai à une certaine tête de navigateur qui serait ravi de se caser avec…

Tous les bancs de l’église étaient remplis. Ils étaient bien plus nombreux que je ne l’aurais imaginé. LeChuck avait invité tous les fantômes des caraïbes ! A moins qu’il n’ait tué quelques pirates à son arrivée pour faire croire qu’il connaissait du monde ? Quoiqu’il en soit, jamais je n’aurais pu les asperger tous de ma bière de racine. Ils m’étriperaient bien avant ça ! L’attaque directe était hors de question.

Au fond de l’église, à l’autel, un petit prêtre fantôme à l’air trouillard faisait le baratin habituel mais final que l’on entend lors des mariages. Devant lui, LeChuck s’était habillé de son plus beau costume de marin à rayures (verticales pour se mincir) et semblait fier comme un paon. A côté de lui, Elaine dans une superbe robe de mariée. Elle ne bougeait pas et semblait attendre résolue l’instant fatidique. Il fallait faire quelque chose !

– Ils sont si nombreux ! s’écria Meethook.
– … si jamais un tiers est opposé…
– Comment va-t-on tous les arroser de bière de racine vaudou ? s’inquiéta Carla.
– … à l’union, hum, de ces deux personnes par le sacrement du mariage…

Goodnight pointa son doigt vers le plafond :
– Le système anti-incendie ! s’écria-t-il.

Des fantômes assis à l’arrière de l’église se retournèrent vers nous et nous firent signe de nous taire.

Otis regarda le système anti-incendie et demanda à Goodnight :
– Et alors ? Y a pas le feu que je sache ?

Je compris enfin l’idée de Goodnight. La seule qu’il avait dû avoir de toute sa vie. Mais quelle idée de génie !

– Il a raison ! m’exclamais-je. Si l’on pouvait verser de la bière de racine dans le réservoir et le déclencher ensuite, on pourrait tous les arroser en un seul coup ! Souvenez-vous de ce que nous ont dit les cannibales ! On peut couper la mixture avec de l’eau !
– Oui mais ce sera moins bon avec de la vanille ! me rappela Goodnight.

Ah, oui. C’était vrai. Tant pis.

Je jetai la bouteille de bière de racine à Otis.

– Tiens, va verser ça dans le réservoir.
– Pourquoi moi ? s’écria indigné le pirate.
– Parce que toi ! lui répondirent les autres.
– … il est prié de se faire étrangler… euh… excusez-moi…

Otis sortit dégoûté de l’église. Le réservoir d’eau était placé sur le toit.

– … je voulais bien sûr dire qu’il est prié de se faire connaître où de se taire à jamais.
– ARRETEZ CE MARIAGE ! LE MARIÉ N’EST PAS UN HOMME !

Les mémoires d’un pirate (124)

Nous avançâmes l’un après l’autre dans l’église. Je vous l’avais dit que cette feinte était super. Mais soudain, alors que tout semblait bien se dérouler, le fantôme arrêta Otis.

– Otis ? dit le fantôme étonné.
– Oh ! Ca va Headaches ? Comment va ta migraine? Demanda Otis mal à l’aise.
– Beaucoup mieux depuis que tu me l’as guérie en m’enfonçant un sabre entre les deux yeux. Merci beaucoup.
– De rien.

Otis tenta d’avancer vers l’église mais Headaches le stoppa net. Bon sang ! Il avait fallu qu’ils se connaissent et qu’Otis soit en plus son assassin ! J’espérai que les spectres n’étaient pas rancuniers. Mais j’avais des doutes là-dessus. En général, s’ils errent toujours sur terre au lieu de faire la fête en enfer ou au paradis c’est pour embêter le monde.

– Je ne savais pas que tu étais mort ! dit Headaches ravi.
– Hé bien oui ! fit Otis. C’est la euh… vie.

Il tenta une fois encore de se faufiler dans l’église mais Headaches mit son bras osseux devant lui pour lui barrer le chemin.

– Pas si vite vieux.

Ca tournait mal. Le fantôme regardait son assassin d’une drôle de manière. Il l’observait sous toutes les coutures.

– Tu ne ressembles pas à un fantôme ! lui dit-il soudain.
– Ah toi aussi tu trouves ? lui répondit Otis.
– Tu es bien trop rose.
– Oh, ça ! C’est un coup de soleil.

Le pire c’est que c’était la vérité ! Mais Headaches ne semblait pas convaincu.

– Tu n’as même pas la voix d’un fantôme, lui dit-il d’un ton acerbe. Tu pourrais au moins gémir, ou hurler, ou agiter des chaînes ?

Otis poussa un gémissement ridicule :
– Bouhouhouhouhouaaaaaaaaah !
– On dirait mon chien… dit le fantôme.
– On fait ce qu’on peut !

C’est vrai qu’on aurait dit un chien ! C’était rigolo !

– Où sont tes chaînes ? continua de questionner le fantôme.
– Et les tiennes alors ? répondit intelligemment Otis ce qui ne lui ressemblait pas.
– Elles se font dégraisser à la teinturerie.
– Quelle coïncidence ! Les miennes aussi !

Otis faisait des pieds et des mains pour convaincre ce maudit spectre, lequel ne semblait pas décidé à se laisser berner aussi facilement. Et Headaches ne cessait de le harceler pour le forcer à se trahir.

– D’accord, admettons. Mais où est ton odeur d’outre-tombe, de pourriture et de moisi ? lui demanda-t-il.

Moi je trouvais qu’Otis sentait suffisamment mauvais comme ça. Jamais je n’aurais pensé qu’on puisse le piéger sur ça. Et ce ne fut d’ailleurs pas le cas :
– Oh, tu veux dire ça ! répondit Otis en pointant un doigt vers le bas. Je vais enlever mes bottes…

Mon dieu, pardonnez notre misérable petite âme !

– Non merci ! s’écria Headaches en reculant d’un grand pas.
– Je peux y aller maintenant ? fit Otis énervé.