Les mémoires d’un pirate (113)

Tiens ? Quel joli chien fantôme ! Il passa devant moi, et se mit à se lécher les os. Le pauvre. Ce devait être un châtiment que de se voir dans cet état. Si certains avaient la manie de se ronger les ongles, ce pauvre toutou se rongeait les pattes. A ce rythme, il ressemblerait vite à un basset. Au moins, il n’avait plus de puces à gratter. C’est drôle. Avant la mort, le chien était le meilleur ami de l’homme. Après la mort, vue la nouvelle physionomie, ce serait plutôt l’homme le meilleur ami du chien. Il s’approcha de moi et se mit à me remuer la queue. Le chien me voyait ! Il me tourna autour, mais ne trouvant pas d’os plus intéressants que les siens à ronger sur moi, il repartit se coucher dans un coin. Pourquoi m’avait-il vu ? Le collier n’agissait-il que sur certains fantômes ? Je n’avais pas envie de me retrouver nez à nez avec LeChuck, de lui faire un bras d’honneur et de lui montrer mes fesses pour me rendre compte ensuite qu’il me voyait. Même si j’ai de belles fesses.

Soudain, LeChuck, car cela ne pouvait être que lui, surgit furibond d’une cabine. La sienne, sans doute. A moins que ce ne soient les toilettes. C’était la première fois que je le
voyais en os et en os. Je n’avais rien perdu, songeais-je en regardant son visage squelettique mais bouffi. C’était tout à fait le genre d’homme qu’il fallait pour caser ma tante Edna.

La musique cessa peu à peu. Tout le monde regardait le capitaine avec une couleur plus bleue que d’habitude. Pas la peine d’être devin pour comprendre qu’ils en avaient tous la trouille comme de la peste. Quoique à sa mort, on ne s’inquiète plus vraiment d’attraper ce genre de maladie. On est plutôt inquiet de voir qu’on ne respire plus, qu’on a presque plus de peau, ni même plus de système sanguin et que surtout on a plus de zizi ! C’est en me disant ça, que je compris que LeChuck ne sortait pas des toilettes, mais bien de sa cabine. C’était bon à savoir, au cas où je devrais y faire un petit tour (47).

Le squelette au grand chapeau qui jonglait allègrement avec son crâne stoppa sa prise de tête et vint demander au capitaine ce qui le contrariait.

– Un problème capitaine ? demanda celui qui se révélait son second, en attendant mieux.
– Je venais juste voir si tu t’étais occupé de l’invasion des rats dans la cave.
– Et bien, c’est à dire que… on a bien tenté avec de la mort au rat, mais ces sales bêtes semblent plus s’en régaler qu’en crever.
– Mais bien sûr imbéciles ! Ils sont déjà morts !

Le spectre fit une drôle de grimace avant de sourire à son capitaine.

– Je n’y avais pas pensé.
– A croire que tu as laissé ton cerveau dans ton enveloppe charnelle ! Et si ces sales bestioles mangeaient la racine, alors ? Tu y as pensé ?

La racine se trouvait donc dans la cave. Bon à savoir.

– Tu viendras prendre la clé de la cave dans ma chambre quand tu auras fini de t’amuser d’accord ? Je suis de bonne humeur aujourd’hui. Amusez-vous, mes braves imbéciles !

Venant de lui, c’était un compliment. Et tous ses spectres le remercièrent en disant en choeur :
– Merci, capitaine ! Vous êtes le plus méchant capitaine que la terre ait jamais porté !
– Vous êtes gentils, les enfants. Ca me touche.

LeChuck se dirigea ensuite les larmes aux yeux vers une porte. Une pancarte indiquait clairement dessus : « Outils et cale. Interdit d’accès ». LeChuck posa sa main sur la poignée et se retourna vers son équipage :
– Voyons comment se porte notre tigresse !

Les fantômes éclatèrent de rire. Certains même se désossèrent.

LeChuck ouvrit la porte. Un crissement énorme retentit, coupant net les rires des spectres joyeux. Un bruit insupportable venait de résonner, un bruit à vous glacer le sang. Sacrebleu ! Jamais entendu porte plus grinçante de toute ma vie !

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47. Pas aux toilettes. Dans la cabine de LeChuck ! Quoique à force d’en parler, je commence à en avoir envie. Pas vous ?

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