Les mémoires d’un pirate (109)

Mes camarades m’aidèrent à descendre. Je n’avais vraiment pas de chance, pensais-je tout en glissant dans la gorge du singe. Mes rêves de grog et de vaisseaux pirates en étaient réduits à ça. Je ne pouvais m’empêcher de penser à ce que m’avait dit quelques jours plus tôt le conseil des pirates : « Trois petites épreuves et vous serez un pirate comme nous ! ». Il y avait une échelle en forme de colonne vertébrale entourée d’une épaisse cage thoracique qui menait aux bas-fonds. Un vent chaud soufflait, et je ne tardai pas à suer comme un porc. Je portais sous mon bras la tête du navigateur, Lady Voodoo m’ayant averti que nul être vivant ne pouvait entrer dans le Black Hole. Me souvenant de l’effet que ça avait eu avec le ramasse-bananes ™ de Toothrot, je préférais ne pas tenter l’expérience. Je doutais qu’il ait la tête aussi dure que les matériaux qui constituaient ce fabuleux objet. Il me fichait un peu mal à l’aise à me regarder avec son air de chien battu et j’avais bien du mal à croire qu’il puisse m’aider en quoi que ce soit, et surtout pas à me guider dans un labyrinthe diabolique.

L’échelle était longue, et me demanda quelques minutes avant que je puisse en voir la fin.

Mais enfin, je touchai terre. Ou plutôt pierre. De la pierre noire, comme du charbon. Il faisait de plus en plus chaud et j’arrivais à peine à respirer. Il me fallut du temps pour m’habituer à ces conditions. La tête ne sembla pas souffrir plus qu’à l’accoutumée. Au contraire, elle sentait monter en elle une chaleur qu’elle n’avait pas connu depuis un bon moment et reprenait même quelques couleurs.

C’était un véritable enfer ici. Le sol n’était que dizaines de chemins différents qui partaient dans tous les sens et qui dépassaient d’une rivière de lave en fusion. Pas étonnant qu’il fasse si chaud. Des cascades de lave coulaient, c’était un spectacle magnifique mais dont je me serais aisément passé. Je n’avais pas intérêt à faire de faux pas ici.

Mais le plus terrifiant provenait de tout ce qui dépassait du sol et des parois : des nez géants, des coeurs, des yeux, des mains, des crânes et même des champignons géants tachés de rouge. C’est étrange, mais j’avais eu comme l’intuition qu’il y aurait eu des champignons en enfer. Je hais ça !

Je pris mon guide par les cheveux comme me l’avaient indiqué les cannibales, et laissai faire son travail à la petite tête desséchée de navigateur. Elle se tourna vers l’un des chemins qui se proposait à moi. Je me mis en route. Le chemin était long et tortueux. Mais aussi de plus en plus étroit. Il descendait de plus en plus au niveau de la lave, ce qui n’était guère agréable. La chaleur ne me donnait pas de répit, et la sueur qui coulait le long de mon corps commençait à me rendre glissant. Le rêve en somme. Puis, je parvins à une grotte extrêmement sombre, où je n’y voyais que couic. La tête me faisait signe de continuer la route mais je n’étais pas rassuré pour autant. Tiens ? Il me semblait entendre quelque chose. Je m’arrêtai. Rien, juste un grand silence. Ce devaient être les nerfs. Je me remis en route. Mais non ! J’avais bien entendu quelque chose ! Une espèce de bruissement ! Et cette ombre qui venait de me passer rapidement devant, je l’avais rêvée aussi ? D’autres bruits… plus intenses, plus nombreux, plus rapides… plus proches… Je me retournai de tous les côtés mais je n’y voyais rien. Il faisait trop sombre. La tête m’indiquait de continuer ma route vers la sortie de la grotte mais j’étais comme paralysé.

Qu’était-ce donc que ces bruits ? Enfin je les reconnus : des battements d’ailes. Je sentis quelque chose qui se posait sur ma tête. De mon bras libre je tentai de m’en dégager.

Qu’est-ce qui me tirait les cheveux ? Des morsures ! On m’attaquait par tous les diables !

Je me mis à gesticuler comme un fou, tout en courant vers la sortie. Une horde de chauve-souris géantes me coursait ! Je les avais dérangées dans leur sommeil, et elles semblaient plutôt en pétard !

La tête de navigateur m’aida à me débarrasser de celle que j’avais dans les cheveux en la mordant férocement. Mais je n’en avais pas fini avec ces sales bestioles pour autant.

Elles me fonçaient toutes dessus comme des météores, avec leurs sales gueules de vampires, crocs en avant. Je criai de terreur. Mon hurlement raisonna dans toute la grotte et déclencha un éboulement. Si la tête ne m’avait pas indiqué de reculer, j’aurais moi aussi terminé mon aventure sous ces stalactites. Comme ces pauvres chauve-souris. Les quelques survivantes repartirent dans leur grotte qu’elles n’auraient jamais dû quitter. Je devais avoir poussé ce que l’on appelle le cri qui tue !

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