Les mémoires d’un pirate (066)

Il était si grand que je ne l’avais même pas vu. Un vrai monstre qui se nommait « IK le Titan ». Il portait bien son nom. Un vrai bateau de luxe, invincible et qui en plus flottait. Ce qui pour un navire est une recommandation agréable. Il me le fallait. Peu importait son prix.

– Regarde-moi ça, commenta Stan. C’est un bateau digne d’un roi ! Je n’exagère pas : quinze cabines de luxe, avec une cheminée dans chacune d’elle, deux piscines, une intérieure, une extérieure, une salle de fête tournante, une hune avec chauffage… En tout, 60 mètres de décadence flottante. Indestructible… que dis-je : in-sub-mer-sible ! Et tout cela pour le prix dérisoire de…

Soudain son sourire indélébile montra des signes de faiblesse. Il se tut un instant et m’examina de la tête aux pieds. Il semblait assez inquiet. Puis il reprit finalement :
– Tant qu’on parle de prix… Quel est ton minimum et ton maximum ?
– Oh, j’ai plus d’argent qu’il n’en faut. J’ai à peu près 203 pièces de huit.

Stan écarquilla ses yeux tout rond et sembla perdre l’équilibre.

– En comptant la pièce dans la machine à grog ? me demanda-t-il.
– C’est ça.

Les bras gigotant du vendeur de bateaux d’occase tout neufs semblèrent soudainement lesté de plombs. Quant à son sourire, c’était désormais plus une grimace qu’autre chose.

Puis, après quelques brefs instants de silence, il se reprit et récupéra son sourire de  vendeur de dentifrices :
– Je crois que l’on ne doit pas parler du même bateau, déclara-t-il. Ca se voit que tu n’es pas au courant des prix. Ca m’étonnerait que tu aies assez de liquide sur toi – et surtout ne me réponds pas que tu peux aller me chercher un seau d’eau merci – pour cette transaction. Tu n’aurais pas un autre moyen de financement par hasard ?
– Vous prenez les chèques ?
– Ni Tchèque, ni Polonais, j’en ai bien peur…

Zut, zut, zut… Et moi qui pensais me payer le navire dernier cri ! Je tentais une improbable transaction :
– Sinon, j’ai ce poulet en caoutchouc ?

Stan examina la bête. Il semblait intéressé.

– C’est un de ces poulets avec une poulie au milieu ?
– Oui, répondis-je tout heureux.
– J’en ai déjà un. Désolé.

Bigre ! Ca avait faillit marcher !

– Et vous ne faites pas crédit, par hasard ?

Stan sembla pris d’un frisson d’horreur. Il est vrai que faire crédit à un pirate relevait plus du cadeau que de la vente.

– Désolé, mon garçon. Je ne suis ni emprunteur, ni prêteur. C’est la philosophie du père Stan. Le marchand du village voudra peut-être t’accorder un crédit qui sait ? Ensuite, tu reviens me voir et on fera affaire, d’accord ?

Il se gratta la tête, et tirait une expression qui trahissait une opportunité manquée. Ce n’est pas encore aujourd’hui qu’il vendrait Ik le Titan, semblait-il se dire. Dépité, il me raccompagna à la sortie du magasin.

– Vous savez, lui dis-je, j’ai vraiment besoin d’un bateau.
– C’est vrai que c’est pratique quand on est pirate. Je t’en vendrais un volontiers… si tu avais assez d’argent. Va voir le marchand. J’attendrai ton retour avec impatience. Mais je ne te garantis pas que tous ces bateaux seront encore là.
– Je ne savais pas que la bourse du navire allait si bien.
– Ils se vendent bien aujourd’hui ! J’arrive à peine à garder le stock !

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