Les mémoires d’un pirate (065)

L’enseigne indiquait fièrement en lettres de feu « Stan, le marchand de bateaux d’occase tout neufs ! ». C’est ici que je trouverais mon bonheur, pas de doute.

Un grand type maigre avec des dents de lapin immenses vint à ma rencontre. Il était du genre farfelu, avec un grand sombrero ridicule, une veste à carreaux violette et un pantalon trop court pour lui. Mais le pire c’était sa démarche : on aurait dit un pingouin qui se dandinait. C’était sûrement un bon signe : j’allais le pigeonner, voilà tout !

– Bien le bonjour ! me lança-t-il d’une voix précieuse et vive. Je me présente : Stan des
bateaux d’occase tout neufs !

Stan devait avoir des origines italiennes car il ne cessait de gesticuler. Il tapait du pied en rythme et faisait tournoyer ses longs bras dans tous les sens. Si une mouche venait à traîner dans le coin, elle ne ferait pas de vieux os !

– Je suis prêt à me mettre en quatre pour te vendre une bonne occase, continua-t-il tout content.

Il me prit sous son épaule et m’amena devant un curieux objet : une grande caisse rectangulaire d’a peu près la taille d’un homme. Elle portait une inscription « Grog » écrite en blanc sur un fond rouge et l’on pouvait lire sur des étiquettes à côtés de boutons alignées, des noms de diverses boissons populaires : Cherry Grog, Grog à Cola etc etc… Je crus deviner que c’était une grande tirelire en apercevant une fente qui semblait parfaitement taillé pour les pièces de huit. Maintenant, je voulais juste savoir pourquoi il me montrait ce truc…

– Prends donc un grog ! me proposa-t-il, ce que j’aurais volontiers fait si j’en avais vu dans les environs. Tu mets une pièce dans la fente de ma machine…

Ce que je fis pour lui faire plaisir…
– …tu choisis ta boisson…
Ce que je fis pour lui faire plaisir…
– … Et il ne se passe rien ! criais-je en déplorant la disparition de ma chère petite pièce.
Ce qui ne me fit pas plaisir…
– Quoi ? fit-il tout surpris.

Il appuya délicatement sur les boutons. Puis avec moins de douceur, pour enfin bourrer sa machine de coups. Mais rien ne sortait de sa grande bouche, ni grog, ni pièce. Ce genre de machine n’avait aucun avenir !

– Elle n’est pas encore au point, comprit Stan en se grattant la tête. Pourtant hier j’ai pris une bière de racine et… Tu cherches quel genre de bateau ? Grand ? Petit ? Rapide ? Lent ? Tu me dis ce que tu veux, j’ai de tout. Et si je ne l’ai pas, je peux toujours le commander. Je veux que tu partes d’ici tout à fait content. Parce que si tu n’es pas content, je ne suis pas content non plus. Mais je sens que tu vas repartir d’ici aux anges mon jeune ami !

Il ne me laissait pas en placer une. Et en plus il m’avait fait oublier de lui demander de me rembourser la pièce. Ce gars était un véritable professionnel de la vente. Une espèce terriblement dangereuse, la pire racaille qu’un pirate doive affronter dans sa folle et courte vie. Il fallait me méfier d’un tel phénomène. Heureusement que j’étais issu d’une famille de commerçants. Pour les affaires la radinerie, ça peut toujours servir.

Il me prit par le bras et commença à me faire voir ses bateaux. Il ne mentait pas, il y avait de très belles occasions. Mais il y avait aussi de belles épaves, comme ce modèle où trônait une pancarte « Economie d’essence » et qui ne semblait rien d’autre qu’une misérable chaloupe trouée.

– Alors, tu as vu ces bateaux ? déclara-t-il non peu fier. J’ai de quoi faire plaisir à tout le monde ! Viens par ici, regarde, admire ! Alors, dis-moi, qu’est-ce que tu veux aujourd’hui ?

Je passai rapidement les bateaux en revue. Le meilleur était sans nul doute celui situé à côté du bureau de Stan. Il ferait probablement l’affaire.

– Le beau bleu près du bureau à l’air bien, lui dis-je.
– Bien sûr. C’est le mien. Et il n’est pas à vendre. Je peux te montrer autre chose ?

Zut. Je l’aimais bien celui-là. Il faisait parti des rares qui semblaient flotter. Et bien tant pis. Il en faudrait un autre.

– Montre-moi ton meilleur bateau, lui dis-je.

Une expédition vers l’île aux singes méritait bien ça. Et Stan parut ravi de m’entendre demander une telle chose. Je voyais déjà à son regard qu’il s’imaginait parti en vacances avec l’argent de la commission.

– Au moins, ça fait plaisir de voir quelqu’un qui apprécie la qualité. J’ai exactement le bateau qu’il te faut ! C’est celui-là, devant nous !

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