Les mémoires d’un pirate (057)

– Ooooh…
– Mon guetteur et le shérif m’avaient averti de votre arrivée. Je mourrais d’envie de vous rencontrer, surtout quand j’ai entendu votre nom fascinant. J’étais vraiment scié là. Je dirais plutôt avec le recul : j’étais raide.

– Dites-moi Guybrush. Pourquoi voulez-vous devenir pirate ?

Si je lui révélais ma motivation…

– Vous n’avez pas la mine à ça, continua-t-elle d’une voix pas torride mais presque. Votre visage est trop (elle sourit, et malgré le persil, ça me donnait envie de fondre) … sensible.
– Gaaaah…

Son sourire s’effaça. Le charme semblait rompu.

– Je vois, dit-elle plus sobrement. Apparemment vous n’êtes pas d’humeur à faire la causette. Vous devez avoir des choses bien plus importantes à faire.

« Non ! Restez ! » c’est ce que je voulais lui dire. Mais seul du courant d’air nauséabond parvint à sortir de ma bouche.

Elle me tourna le dos et retourna d’où elle était apparue. A peine avait-elle refermé la porte que mon esprit se débloqua et que je pus sortir quelques mots presque compréhensibles.

– Bglm ? Mfrnkf ? Drmnd ?

J’ai dit « presque ». Aaah, j’aurais tant aimé savoir parler aux femmes. Mais j’étais vraiment une petite frappe. Mes trop rares essais avec les filles s’étaient toujours révélés de cuisants échecs. Tout ça parce que j’étais différent et que je n’avais pas de voilier comme la plupart des jeunes de mon age. Pas de permis. J’étais différent parce que je préférais le romantisme au rentre-dedans ! Différent parce que d’une timidité diablement maladive.

Différent parce que seul. Voilà pourquoi je voulais devenir pirate ! Pour changer tout ça ! Pour me guérir de cette maudite timidité qui m’avait tant de fois fait rater des occasions. Comme par exemple avec ma voisine Ginette dont ma cousine disait qu’elle m’aimait bien ! Mais bof, tous mes amis disaient qu’elle passait sa vie au lit. Et moi je n’avais pas envie de rester avec une fille au lit toute ma vie ! Si elle était toujours malade c’était lassant à la fin ! (37)

L’idole sous le bras, je partis à la fois ravi d’en avoir fini avec mon apprentissage, mais surtout écoeuré par mon sens de la répartie envers le gouverneur. J’ouvris la porte et sortis sans même me rendre compte que je venais de percuter le solide thorax de Shinetop.

– Où tu vas comme ça Fripouille ? me lança-t-il.

Je n’avais même pas envie de m’égosiller à corriger pour la énième fois mon doux nom. Je n’avais même pas envie de le rosser une fois de plus ou même de me moquer de sa coupe de cheveux. Même pas ça, tiens.

– Excuse-moi, Shinetop, tu bloques la porte.
– Et l’idole ? dit-il en la montrant du doigt.
– Je te la ramène dans cinq minutes. Maintenant casse-toi tête de genou…

Finalement, y a pas d’heure pour une boutade sur les tondus…

– Tu m’as l’air ennuyé… me soupira le shérif. Je vais te rafraîchir les idées.

C’est drôle. J’avais plutôt l’impression que ça allait chauffer. Incessamment sous peu. Shinetop me conduisit sur le ponton désert du village de Mêlée. Le vent caressait mon visage, ce qui me fit éternuer, alors qu’une grande vague me trempa de la tête aux pieds. Je ne sais pas pourquoi mais je n’avais même plus envie d’échapper à mon cruel geôlier. Bon, il y eut peut-être une ou deux tentatives de fuite, mais sans réelle conviction.

Le shérif sortit une longue corde de sa veste et l’attacha solidement à l’idole. Il enroula l’autre extrémité à ma jambe droite. Qu’avait donc à l’esprit cet animal ?

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37. J’ai l’impression d’avoir fait une belle boulette là…

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