Les mémoires d’un pirate (125)

Il s’avança vers l’église, et cette fois son camarade fantôme ne sembla pas vouloir l’en empêcher. Mais alors que nous étions presque entrés dans l’église, Headaches lui posa LA question :

– Si tu es un fantôme comme tu veux l’insinuer, prouve-le-moi. Je veux te voir jongler avec ta tête.

Otis grimaça, se retourna vers nous, puis de nouveau vers ce maudit fauteur de troubles.

– J’ai une meilleure idée, dit Otis : je vais plutôt jongler avec cette bouteille de bière de racine !

Je lui lançai la bouteille qu’il attrapa au vol. Avant que Headaches n’ait le temps de réagir, Otis lui aspergea une giclée dans la bouche. Le corps du malheureux se désintégra aussi sec.

Son sabre coincé dans sa caboche resta suspendu en l’air un instant, avant de tomber lourdement sur le sol. Ne restaient plus que des jambes qui les auraient pris à leur cou si elles en avaient eu un. Au lieu de ça, elles se mirent à nous faire un numéro de claquettes.

– Il manquait cruellement de conversation celui-là, déclara Otis en me rendant la bouteille.

Excellent gargarisme en tout cas ce bidule. On y va ?

La voie étant libre nous pûmes enfin entrer dans l’église. Les jambes continuèrent à faire leur numéro toutes seules mais nous n’y prenions pas garde. Je songeai à une certaine tête de navigateur qui serait ravi de se caser avec…

Tous les bancs de l’église étaient remplis. Ils étaient bien plus nombreux que je ne l’aurais imaginé. LeChuck avait invité tous les fantômes des caraïbes ! A moins qu’il n’ait tué quelques pirates à son arrivée pour faire croire qu’il connaissait du monde ? Quoiqu’il en soit, jamais je n’aurais pu les asperger tous de ma bière de racine. Ils m’étriperaient bien avant ça ! L’attaque directe était hors de question.

Au fond de l’église, à l’autel, un petit prêtre fantôme à l’air trouillard faisait le baratin habituel mais final que l’on entend lors des mariages. Devant lui, LeChuck s’était habillé de son plus beau costume de marin à rayures (verticales pour se mincir) et semblait fier comme un paon. A côté de lui, Elaine dans une superbe robe de mariée. Elle ne bougeait pas et semblait attendre résolue l’instant fatidique. Il fallait faire quelque chose !

– Ils sont si nombreux ! s’écria Meethook.
– … si jamais un tiers est opposé…
– Comment va-t-on tous les arroser de bière de racine vaudou ? s’inquiéta Carla.
– … à l’union, hum, de ces deux personnes par le sacrement du mariage…

Goodnight pointa son doigt vers le plafond :
– Le système anti-incendie ! s’écria-t-il.

Des fantômes assis à l’arrière de l’église se retournèrent vers nous et nous firent signe de nous taire.

Otis regarda le système anti-incendie et demanda à Goodnight :
– Et alors ? Y a pas le feu que je sache ?

Je compris enfin l’idée de Goodnight. La seule qu’il avait dû avoir de toute sa vie. Mais quelle idée de génie !

– Il a raison ! m’exclamais-je. Si l’on pouvait verser de la bière de racine dans le réservoir et le déclencher ensuite, on pourrait tous les arroser en un seul coup ! Souvenez-vous de ce que nous ont dit les cannibales ! On peut couper la mixture avec de l’eau !
– Oui mais ce sera moins bon avec de la vanille ! me rappela Goodnight.

Ah, oui. C’était vrai. Tant pis.

Je jetai la bouteille de bière de racine à Otis.

– Tiens, va verser ça dans le réservoir.
– Pourquoi moi ? s’écria indigné le pirate.
– Parce que toi ! lui répondirent les autres.
– … il est prié de se faire étrangler… euh… excusez-moi…

Otis sortit dégoûté de l’église. Le réservoir d’eau était placé sur le toit.

– … je voulais bien sûr dire qu’il est prié de se faire connaître où de se taire à jamais.
– ARRETEZ CE MARIAGE ! LE MARIÉ N’EST PAS UN HOMME !

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