Les mémoires d’un pirate (114)

LeChuck se frotta les oreilles puis se tourna vers son second d’un air glacial. Ce dernier haussa les épaules et lui dit :
– Vous savez bien que la marmite de graisse se trouve à la cave… avec les rats…

LeChuck souffla et fit un geste de la main qui en disait long. Puis il pénétra dans la salle aux outils en refermant la porte derrière lui dans un nouveau grincement assourdissant. Après ce court mais terrifiant interlude, les pirates fantômes se remirent à faire la fête. Diantre ! Impossible d’entrer là-dedans, sans me faire repérer. Je m’approchai de la porte de bois pour l’examiner de plus près : en effet, les charnières avaient besoin d’un bon graissage. Tout à coup, la porte s’ouvrit et s’abattit en plein sur ma figure et dans un grand BOUM. Personne ne sembla y faire attention, peut-être parce que le bruit venait d’être couvert une fois encore par le grincement infernal.

C’était LeChuck qui venait de ressortir, avec un petit mouchoir posé contre son visage osseux.

– Elle m’a griffé, la tigresse ! se plaignit LeChuck.

Tous les fantômes vinrent plaindre le malheureux capitaine, mais sous la colère d’un tel affront, il les envoya tous paître. Mes camarades avaient peut-être raison : ce n’était peut-être pas Elaine qui avait besoin d’être sauvée. LeChuck repartit vers sa cabine furibond.

– Je me repose dans ma cabine. Que l’on ne me dérange sous aucun prétexte !

Le second du capitaine leva timidement un doigt et déclara d’une voix incertaine :
– Mais… et la clé ?

LeChuck claqua la porte de toutes ses forces. L’appel d’air fit voltiger quelques os mal fixés, dont la tête du second qui roula juste devant moi.

– Ca roule, capitaine… déclara-t-elle ironiquement. On remet ça à plus tard…

Je partis vers la cabine du capitaine. Pénétrer dans l’antre de la bête ne m’enchantait guère mais il le fallait pourtant, si je voulais récupérer la clé de la cave. Je ravalais la boule de salive qui se trouvait dans ma gorge et ouvris doucement, tout doucement, la porte de la cabine…

LeChuck était tourné et regardait à travers une grande fenêtre les cascades de laves en fusion. Charmant spectacle, il est vrai. Une clé, probablement celle de la cave, était posée sur le bureau, à la droite de mon ennemi juré. Un courant d’air soudain me fit lâcher la poignée de porte qui claqua brutalement. Le gros capitaine se retourna vers elle, une expression interrogative et la main à son fourreau.

– Qui ose pénétrer dans la cabine du pirate fantôme LeChuck ?

Il regarda autour de lui furtivement, cherchant un rat ou une sale bestiole qui ait pu commettre pareil sottise. Il espérait que ce ne serait pas un cafard fantôme. Comme tout le monde, il détestait le bruit que faisait la carapace de ces sales bêtes quand on les écrabouillait.

Mais ne voyant rien, il se retourna vers sa fenêtre.

– Endroits bizarres, bruits étranges, en conclut-il.

Je laissai échapper un énorme soupir de soulagement. Idiot ! Cela l’alerta de nouveau en le faisant sursauter.

– Est-ce le bateau qui fait un drôle de bruit en ces eaux de lave ou bien est-ce le vent ?

Je ne bougeai plus d’un centimètre. L’immonde renégat scrutait chaque coin de la cabine.

Je me répétais pour me rassurer que j’étais invisible, mais LeChuck, visiblement bien nerveux, savait d’avoir entendu quelque chose… Puis de nouveau, il se remit face à sa fenêtre et repartit dans ses folles méditations : qu’allait-il faire ce soir pour dîner ?

Je longeai en silence les parois de la cabine, m’approchant de la précieuse clé. Encore quelques pas et elle serait à moi… une planche grinça… Décidément…

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