Les mémoires d’un pirate (112)

Chapitre 14: L’arme fatale

Du haut d’un promontoire, j’observai avec béatitude le navire fantôme du pirate LeChuck. Il était exactement comme ma mémoire me le rappelait, identique au jour où je l’avais aperçu au loin de l’île de Mêlée. Le bateau de LeChuck n’était pas à proprement dire laid, il était même assez beau grâce à cette teinte bleuâtre brillante, et son blanc éclatant, mais il se révélait tout aussi terrifiant. Il brillait tant, qu’il éclairait les obscures catacombes. Pas le temps de m’extasier ici et de regretter mon fidèle Singe des Mers, paix à son âme. Il était temps que je m’infiltre parmi l’équipage de LeChuck. Je n’avais pas de costume de fantôme, comme celui que j’avais quand j’étais petit et que ma mère m’avait offert pour Mardi-gras et qui m’était d’ailleurs un peu large, mais j’avais bien mieux que ça. On disait que les fantômes pouvaient se rendre invisibles, cette fois, le rôle s’inverserait. Et grâce une fois encore à ma bonne vieille tête de navigateur. Les cannibales l’avaient entourée d’un collier la rendant invisible aux fantômes. Si ça marchait avec une tête, je ne voyais pas la raison pour laquelle ça ne marcherait pas avec moi. Après tout, j’étais juste une tête attachée à un corps beau et musclé. C’est vrai que je suis un beau gosse, quand j’y pense. Mais passons… Ayant été élevé dans une famille bien, je demandai auparavant à ma bonne tête si je pouvais lui emprunter son collier. Je la pris dans mes bras et la regardai avec un sourire jusqu’aux oreilles.

– On est arrivés, dit la tête d’une voix sobre et macabre. Alors qu’est-ce que tu me veux maintenant ?
– Et bien ma grosse tête…
– Oui beau gosse ?

Ah, vous voyez que je ne mentais pas ?

– Merci de m’avoir guidé jusqu’au navire fantôme.
– Tu parles ! Ca n’était rien du tout. Quand on est bon qu’à une chose, on la fait bien.
– Merci encore de m’avoir guidé jusqu’ici.

Alerté par une inhabituelle gentillesse, la tête plissa les yeux et fit une moue interrogative.

– J’ai comme l’intuition que tu vas me demander un service, me dit-elle en fermant un oeil et en prenant un air inquiet.
– Est-ce que je peux t’emprunter ton collier ?
– Non, mais merci de me le demander si poliment.
– Pourquoi pas ?
– Je ne me sens pas en sécurité dans cet endroit. Je risque d’en avoir besoin.

Hum… On avait oublié de lui retirer son cerveau à cette tête… Mais que pouvait craindre une simple tête à part d’affreuses migraines ou de devenir aveugle ?

– Allez ! Sois sympa ! la suppliais-je.
– Ecoute, tu es pénible à la fin, répondit la tête en écarquillant ses yeux tout ronds.
– Allez, s’il te plaîîîîîîîîîîîît !
– Tu peux continuer à me supplier, je ne te le donnerai pas.
– Même si je te fais un bisou ?
– SURTOUT si tu me fais un bisou, je dirais !

Tête de cochon ! Je n’allais pas passer la journée à l’implorer !

– Après tout, je n’ai qu’à le prendre, lui déclarais-je alors en commençant à le lui enlever.
– Je te le déconseille, fit-elle en me souriant sadiquement.

Cette maudite tête mordit son collier et n’avait pas l’intention de le lâcher.

– Je ne veux pas te faire mal… lui dis-je en tentant d’écarter sa mâchoire.
– Il ne vaut mieux pas pour toi, parvint-elle à articuler.
– Pourquoi, qu’est-ce que tu pourrais me faire ? Me mordre ?

Quoique, vue la dentition pourrie et avec toutes les maladies que l’on chopait à notre satanée époque, ça n’était pas une menace à prendre à la légère.

– Non, répondit la tête, mais je pourrais te laisser pourrir ici…

Des menaces ? Nous allions voir lequel de nous deux avait le plus de testicules espèce de castré du cou !

– Tu sais que je pourrais te balancer dans la lave ? lui dis-je.

La tête ouvrit ses yeux en grand puis me regarda en frissonnant. Puis elle me fit un grand sourire, qui ressemblait plus à une grimace.

– Bon d’accord, dit-elle. Un collier ne sert pas à grand chose quand on n’a pas d’épaules de toutes façons !

La tête ouvrit la bouche, ma laissant enfin prendre le précieux collier. Je m’empressai de me le mettre. Une drôle de sensation fit vibrer mon corps de la tête aux pieds, comme si je venais d’avoir la chair de poule. Une sensation pas si désagréable bien que curieuse. Puis plus rien. Je n’avais pas vraiment l’impression d’être invisible.

– Tu es sûr que ça marche ? demandais-je à la tête.
– Les spectres ne te verront pas. Je te le garantis.
– Tu me vois toi, pourtant ?
– Je ne suis pas un fantôme moi ! Je suis un être vivant comme toi !
– En un peu plus court.
– On a dû souvent te le dire à toi aussi je suppose…

Ignorant ces sarcasmes sur ma virilité dont personne ne doutait, je posai la tête par-terre.

Maintenant, après tout ce bla-bla, j’avais besoin d’un peu d’action furtive.

Je descendis le chemin qui menait au bateau. Au fur et à mesure que je m’en approchais, une musique folklorique venait à résonner dans les catacombes. Les barbares chantaient et s’amusaient comme de bons vivants. Ah, ils riaient ? J’allais leur donner une bonne raison de danser, moi !

Je posai discrètement un pied sur le pont. Même invisible, je ne me sentais pas pour autant en sécurité ici. Les ectoplasmes étaient réunis ici. Le grog coulait à flot (surtout qu’il est difficile de retenir en soit du liquide quand on n’a pas d’enveloppe charnelle) et les fantômes regardaient tous l’un d’entre eux qui s’amusait à jongler avec sa tête. L’un d’eux se tourna dans ma direction. Il m’avait vu ? Les vibrations se firent plus intenses encore, signe que le collier faisait son travail. Enfin, c’est ce que j’espérais fortement. Le pirate détourna la tête et se remit à applaudir son compagnon jongleur.

Tant de monde était réuni ici, qu’il me serait difficile de passer quand même inaperçu.

J’étais invisible, certes, mais l’on pouvait tout de même me sentir au toucher.

La musique endiablée était véritablement envoûtante. Quatre musiciens de talent la produisaient. Il est vrai que les meilleurs artistes sont tous décédés. Je constatai que l’on ne perdait pas ses dons une fois dans l’au-delà. Soudain, le style de la musique changea et se fit plus rapide. Tous les squelettes se mirent à pointer leur index vers le ciel et à se déhancher (certains le faisait vraiment) comme des diables, et chantait à tue-tête « Ah ! Ah ! Ah ! Ah! Staying Alive ! Staying Alive ! ». Ils avaient le rythme quand même… Et sans m’en rendre compte je me mis à participer à leur danse macabre mais entraînante.

Heureusement que personne ne me voyait, je dansais vraiment comme un pied !

Laisser un commentaire