Les mémoires d’un pirate (092)

– Bon. Alors je vais faire mes bagages.

Et il partit de nouveau en direction de la jungle. Oui, décidément c’était un drôle de zigoto. Il fallait le comprendre : la solitude engendrait bien des choses, bonnes ou mauvaises, telles que la folie, l’imagination, la rêverie, la masturbation… toutes qualités ou défauts inacceptables dans la société vers laquelle nous évoluons. De toutes façons nous serons trop nombreux pour qu’il y ait assez place pour les solitaires. C’est triste ça. Pauvre Herman, il était désormais trop vieux pour se trouver une belle poule avec qui partager sa misérable vie. Il avait perdu vingt ans de son existence sur cette île tropicale paradisiaque. Sans âme civilisée qui y vive, sans femme, sans animaux, sans pantalons, sans devoir payer d’impôt ou devoir aller travailler… Finalement, ce n’était pas si mal ici.

Nous réveillâmes Goodnight puis reprîmes notre long et aventureux chemin. Otis se plaignait que sa crème solaire était presque finie et nous cassait les pieds à tous. Nous tombâmes sur une petite chaloupe, échoué sur la plage. Une inscription y mentionnait « Le Singe des Mers ». On hésitait tous à mettre pied là-dedans. On se rappelait sans mal comment avait fini l’autre chaloupe, lors de notre arrivée. Mais celle-ci semblait moins allergique à l’eau que l’autre et elle nous permit de gagner un temps fou. Nous ramâmes chacun à notre tour, sauf Meethook qui avait une dispense du docteur et aurait de toute manière bien eu du mal à le faire, et Otis qui nous grugeait en nous déclarant qu’il venait de le faire, et que ça venait à quelqu’un d’autre. Carla cessa de ramer en disant que ce n’était pas à une femme de faire ça, même belle. Et Goodnight n’arrêtait pas de dormir. Bref quand j’y pense c’était moi qui ramais toujours.

Nous évitâmes ainsi des montagnes rocheuses qui nous auraient demandé des heures de marche acharnée. Quoiqu’en ce qui me concerne ça ne m’aurait pas plus fatigué que de ramer comme un crétin. Nous débarquâmes sur une autre plage, encore plus grande et plus belle que les autres. Le soleil semblait s’acharner sur cet endroit. Je m’effondrai sur le sable chaud en me jurant de ne plus jamais ramer de ma vie. Et pourtant, dieu sait s’il faut ramer dans la vie.

– Es-tu venu à bord du bateau qui a coulé au large ? demanda la voix familière d’Herman Toothrot.

Comment diable avait fait cet ahuri pour parvenir jusqu’ici ? Il ne semblait pas plus fatigué que d’habitude et sirotait tranquillement un jus de noix de coco avec une longue paille.

Mieux valait ne pas tenter de trouver une explication. Il était là, un point c’est tout.

Je regardai le point où le majestueux Singe des Mers avait sombré. Le mât dépassait légèrement.

– C’est le cas, lui dis-je.

Je pensais qu’il allait se mettre à pleurer, que jamais il ne partirait vivant d’ici mais l’idée qu’il serait impossible de repartir avec ce navire ne sembla même pas l’effleurer.

– Tu es plus courageux que je ne le pensais pour être venu à bord de ce sous-marin ambulant. Je sais de quoi je parle, j’avais un bateau qui lui ressemblait beaucoup.
– Il s’est fait avoir par un type qui s’appelle Stan, dit alors Meethook.
– Stan ?

Il se retourna tout surpris. Ce nom semblait ressurgir de son passé, comme un diable de sa boite.

– Stan, le cireur de chaussures d’occase toutes neuves ? dit le vieil Herman.
– Il a fait du chemin depuis, dit Otis. Il vend des bateaux d’occase tout neufs maintenant.

Toothrot se mit à rire.

– Qui l’eut cru que ce crétin boutonneux de Stan, avec ses longues dents et ses vêtements ridicules fasse un jour carrière dans le commerce !

Puis, il partit encore. Toujours sans pantalon. Je me demande si le sien aussi avait brûlé lors d’une éjection en canon.

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