Les mémoires d’un pirate (078)

Stan m’accueillit avec un grand sourire aux lèvres. Il me fallait penser à lui demander quel dentifrice il utilisait.

– Heureusement que tu es là ! fit Stan excité. Il y a dix personnes qui ont essayé de m’acheter cette beauté, alors que je reste là à t’attendre. Mais je leur ai dit : rien à faire, j’ai un client qui est AMOUREUX de ce navire et ça lui briserait le coeur de le perdre. N’ai-je pas raison ? Bien sûr que j’ai raison !

Il me tourna vers le Singe des Mers. C’est vrai qu’il était beau, le bougre ! Même sous cette pluie battante qui commençait à le faire pencher dangereusement vers l’avant.

Heureusement que les trous dans la coque évacuaient l’eau qui s’engouffrait à bord.

Stan continua dans son fou discours :
– Regarde-le un peu : élégant, aérodynamique… une beauté flottante couverte de moules.

Grand silence. Que pouvait-on ajouter devant pareil spectacle ? Il n’y avait pas de mot pour qualifier l’intensité du moment. Mon premier bateau…

– Quel moment émouvant… commenta Stan les larmes aux yeux.

Nouveau silence. Les gouttes qui coulaient le long des joues de Stan montraient à quel point ce professionnel des bateaux d’occase tout neufs, aimait sa marchandise. Je m’en voulais de lui arracher un de ses enfants, surtout à un prix si modique toutes taxes comprises.

Si j’avais eu la possibilité de lui offrir le triple je l’aurais volontiers fait, mais ma bourse étant désespérément vides je n’avais pu le faire.

Une étoile filante déchira le ciel de ses paillettes enflammées. Ce fut trop pour Stan qui craqua devant moi :
– J’ai changé d’avis, fit-il. Je ne peux pas le vendre. Tu peux reprendre ton argent.

Comment me séparer de quelque chose d’aussi précieux ?

Un éclair vint soudainement s’abattre sur le mât central du Singe des Mers. Il tomba dans un boucan de tous les diables. Il traînait à moitié dans l’eau et venait d’arracher un bon gros morceau de la coque avant du navire. Stan grimaça, puis se retourna subitement vers moi en disant d’une allure plus rapide que jamais :
– Mais en même temps une affaire est une affaire n’est-ce pas ? On est d’accord à bientôt bonne chance amuse-toi bien j’y vais.

Il jeta un dernier coup d’oeil à son bébé et me remit quelque chose avant de lever l’ancre : un manuel pour « garder la tête froide ». Que diable voulait-il que j’en fasse ?

– Dire que j’ai presque oublié de te donner cette brochure sur les voyages en mer. C’est un cadeau de ma part. Rappelle-toi bien qui te l’a donné : STAN !

Et il partit enfin. Je rangeais la brochure dans le Black Hole en me demandant si elle en ressortirait un jour, puis je me retournais vers mon dernier achat.

– J’aurais dû prendre une assurance quand même, me dis-je tout haut.
– Bonjour toi, fit une voix familière dans mon dos. Ca fait longtemps qu’on ne s’est pas vus.
– Otis ! car c’était lui. Tu es là !
– Bien sûr. Je ne rate jamais une occasion de me faire un peu d’argent.
– De l’argent ? criais-je stupéfait.
– Ouais, fit une seconde voix bien connue. On est bien payé ?
– Carla ! dis-je. Tu parles d’une attitude intéressée. A propos, c’est vrai ces rumeurs à propos de toi et le marchand ?
– Ecoute, ne commence pas à m’énerver !

Elle se tourna vers notre majestueux Singe des Mers.

– Tu peux me dire ce que fait ce bateau à moitié submergé ici ? demanda-t-elle soudain.

De quoi parlait-elle ?

– Comment allons-nous amener notre navire ici avec tous ces détritus flottants ? demanda Goodnight qui venait d’arriver alors qu’il dormait dans un coin.

Je tournai la tête vers mes trois compagnons. Etaient-ils aveugles ? Ne le voyaient-ils donc pas ce fier et beau navire ? D’accord, il commençait à sombrer lentement mais de manière critique sous les flots… Mais on le voyait encore. Un peu.

– Où est le porteur ? demanda Meethook qui venait de débarquer à son tour. J’ai besoin qu’il aille chez moi pour chercher mes bagages.
– Qu’est-ce qui se passe ici ? demanda Carla d’un ton inquiet.
– Où est notre navire ? questionna cette fois Goodnight.
– Où est notre équipage ? s’enquit à son tour Otis.

Oh la la ! J’avais comme l’impression que ça n’allait pas être aussi facile que ce que je me l’étais imaginé.

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