Les mémoires d’un pirate (073)

Je stoppais ma marche, puis je lui répondis sans me retourner :
– T’as raison, coco…

Je le tenais !

– Bien sûr que j’ai raison ! Où en étions-nous ? Ah oui : je ne comprends pas. Je croyais que tu étais intéressé par ce bateau. Je ne peux croire que tu refuses de l’acheter pour la modique somme de… 5300 misérables pièces de huit !
– Je vais te faire mariner encore un peu.
– Bien sûr, c’est mon boulot. Je te laisserais bien faire un tour dans le port mais la compagnie d’assurance ne me le permet pas.

Je crois qu’il était grand temps d’achever cette vente aux enchères…

– Très bien ! 5000 ! dis-je avec une hargne à faire peur. Mais c’est mon dernier prix !

Surtout parce que je ne pouvais lui proposer plus. Mais il n’était pas censé le savoir. Et je sentis que Stan flanchait. Je crois que j’avais gagné mon bateau d’occase tout neuf.

– Cinq milles pièces de huit ?!? fit-il incrédule.

Il demeura muet un moment. Fait trop rare pour ne pas être apprécié à sa juste valeur. Et enfin, en versant de chaudes larmes :

– D’accord, d’accord ! Je souffre mais j’accepte ! Et moi qui pensais que j’allais pouvoir acheter des cadeaux de Noël à mes enfants cette année ! Vas-y, il est à toi. Je suis content que l’un de nous soit satisfait…

Nous retournâmes dans son bureau. Là, nous pûmes achever la transaction.

– Mon patron va penser que je suis devenu fou, mais je lui expliquerai. Rejoins-moi sur les docks avec ton équipage. J’amènerai le navire et les papiers.

Il inspira profondément et posa sa main sur la mienne. Hé, ho !

– Je dois te dire que je me sens proche de toi maintenant. Je sens qu’un lien profond s’est développé entre nous.

Oui. Le même que j’avais entretenu avec mon maître d’armes Smirk : les pièces de huit…

– Et je ne dis pas ça à tout le monde ! conclut-il presque convaincu par son propre discours. C’est un plaisir de faire des affaires avec toi. Sans blague.

Je le saluai et partis. J’eus l’impression qu’il déclarait dans mon dos : « Pigeon », en aparté. Le pauvre. C’est vrai que je l’avais bien arnaqué. J’en avais presque honte. Mais bon, les affaires sont les affaires ! Mais quand même… j’aurais bien aimé le beau rouge de luxe, avec les piscines et tout son attirail.

Alors que je quittais cet endroit, un drôle de bruit de carambolage m’effraya. Je me retournai vers la source de cette nuisance : la machine à grog. Elle venait de cracher une choppe étrange de sa bouche. Un grog régime. Celui que j’avais choisis tout à l’heure. Hé ben. Il ne fallait pas trop être pressé ! Le service était aussi lent qu’au Scumm Bar ! Je m’emparai de mon dû et après avoir tiré une sorte de languette comme indiquait les instructions sur le côté, j’en bus une rasade. Infecte ! Ce truc était bouillant et picotait ma langue et ma gorge ! Comment diable ces pirates d’eau douce pouvaient-ils ingurgiter un tel poison ? Je balançai de dépit la choppette qui par mégarde heurta Ik le Titan. Croyez le ou pas, mais ce dernier sombra en moins de dix secondes. Finalement, je crois que j’avais bien fait de prendre le Singe des Mers !

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