Les mémoires d’un pirate (067)

Alors que je m’éloignais dépité du magasin de Stan, je ne me doutais pas que dans un coin sombre du village de Mêlée, mon premier et seul équipier Otis s’amusait à dérober la bourse de l’un de ses camarades pirate. Il en profita également pour lui substituer ses bottes, les siennes étant toutes rongées par ces vermines de rats. Il ragea en tentant de les enfiler : trop petites. Ca l’apprendra à attaquer un nain. Mais après son séjour en prison, il ne se sentait pas la force d’attaquer quelqu’un de sa taille. Il poussa un long soupir qu’il prolongea après avoir compté son maigre butin. La somme volée ne valait pas plus que la bourse qui la contenait.

Et maintenant ? Que pouvait-il faire ? Il avait tant rêvé de sa liberté qu’une fois arrivée elle le décevait. Finalement, il était si bien dans sa cellule, sans soucis et sans obligations. Il avait oublié à quel point la vie était dure hors des cellules. Il fallait… travailler ? Non, c’est horrible ! Mais bon, il fallait bien qu’il s’y remette un jour. D’autant plus que les pirates d’aujourd’hui semblaient avoir cruellement besoin de ses services. Ils avaient tous l’air si mous. De vrais demeurés. Serait-ce à cause de ce mort-vivant de LeChuck et de son équipage idiot ? Il repensait au nain qu’il venait d’agresser. Avant qu’on ne l’enferme, ce petit gars lui en aurait fait voir de toutes les couleurs, mais là…

Chassant ses tristes pensés, Otis alla dans un angle et, ouvrant sa braguette, s’apprêta à uriner. Soudain, il vit apparaître sous son euh… truc, quelque chose de plutôt anormal : une énorme lame de couteau.

– Que penses-tu de mon ami monsieur le couteau que j’ai rapporté de l’île de Scabb, Otis ? fit une voix rauque dans son dos.

Et cette voix, Otis la connaissait bien. Elle semblait ressurgir de son passé comme un diable hors de sa boite.

– Bean ? Rambo Bean ? s’exclama Otis sans lâcher la lame de ses yeux.

Rambo était un noir aux membres disproportionnés. Je parle bien sûr de ses bras et de ses jambes qui lui donnaient un air plutôt étrange. Et il n’était pas réputé pour son amabilité. En effet, cette qualité était totalement à fuir quand on avait la prétention d’appartenir au gang du tristement célèbre Largo Lagrande. Ce dernier, ex-bras droit de LeChuck, était le seul à avoir survécu à l’expédition vers l’île aux singes qui avait coulé lors d’une tempête. Ce privilège lui avait assuré depuis une réputation de coriace et avait instauré une crainte sur lui. Comment avait-il fait pour survivre ? Mystère. Mais certains témoins assuraient qu’il était arrivé en retard, plus ou moins exprès, le jour de l’embarcation. Depuis, ce petit diable s’était installé sur l’île de Scabb où il y dirigeait une S.A.R.L. de contrebandiers (40) qui, disait-on, était en pleine expansion. On lui reprochait d’ailleurs d’avoir un monopole écrasant ce qui lui causait des problèmes avec la justice qui se jurait d’avoir sa peau. Mais ces bêtes questions économiques ne nous intéressent pas, il serait donc bon de revenir à notre récit. Surtout qu’Otis commençait à attraper froid avec son machin à l’air.

– Largo attend toujours son pognon, fit une seconde voix dans son dos.

Le Sergent ! Celui même qui avait déserté l’armée de son Angleterre chérie pour rejoindre l’entreprise juteuse de Largo. Otis avait déjà eu à faire à lui quand il n’avait pas encore quitté sa carrière militaire, et il lui avait d’ailleurs fait perdre sa main droite. Dix contre un qu’il n’avait pas oublié ce léger détail… Quand on a trente ans, qu’on est blond, imberbe et misogyne de surcroît, on a souvent tendance à être rancunier (41).

– Sergent ! dit Otis en souriant et en tentant de se retourner sans se couper. Justement, j’étais sur le point de venir payer ! Je sors juste de prison et…

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40. Société Abrutie à Responsabilité Limitée. Ce qui lui permet grâce à ce statut de bénéficier des nombreux avantages proposés comme le licenciement par la mort, les heures de tortures supplémentaires non payés ou bien encore les inévitables 39 heures de travail de contrebande par semaine au lieu des 35 habituelles.

41. Cette opinion n’engage que son auteur qui ne pourra en aucun cas être poursuivi en  justice par un quelconque trentenaire blond, imberbe et misogyne.

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