Les mémoires d’un pirate (058)

– Les choses touchent à leur fin pour toi, mon petit pote en pantalon, me dit-il en achevant un double noeud magique sur ma jambe.

Il serra si fort que le sang cessa de passer par cette jambe pour se consacrer uniquement au reste de mon corps. Je devais avoir un ton plus rose. Il posa l’idole attachée sur le ponton, juste au bord, à proximité de mes pieds.

– Tes secondes de révolte sur l’île de Mêlée sont comptées, dit-il me posant amicalement la main sur les épaules. J’ai des choses fort importantes en tête pour le gouverneur… et elles sont trop proches de se réaliser pour qu’un pirate amateur comme toi fasse tout tomber à l’eau. Adieu Gabroche, hum, Fripouille… Je ne me rappelle jamais de ce nom !

Il donna un grand coup de pied irrespectueux dans l’idole aux mains vraiment pas nombreuses. Alors que je m’apprêtais à me jeter dessus pour sauver une telle atrocité, je fus subitement attiré avec elle au fond de l’océan ! Aaaaah… c’était donc à ça que servait la corde…

– Ca fait du bien, déclara le shérif avant de se retirer.

Comme je l’avais confié au conseil des pirates, je possédais l’extraordinaire capacité de retenir mon souffle pendant dix minutes. C’était pas des blagues ! Ce qui me laissait un peu de temps… Nom d’un bougre, mes forces m’abandonnaient dans un moment critique ! Impossible de défaire un des noeuds ou de soulever cette maudite idole !

Parbleu ! Jamais vu une mer aussi sale ! Le fond était parsemé d’armes en tout genre, avec comme par exemple une scie à métaux, une hache, un poignard, un coupe-viande, des ciseaux tranchants… L’embarras du choix. En effet la mer était un bon endroit pour se débarrasser de l’arme d’un crime, personne n’irait risquer de prendre un bain pour aller les chercher. Mais ça ne m’arrangeait pas tant que ça. Elles étaient toutes inaccessibles ! La corde n’était pas si longue que ça en fait ! Ah si ! Je m’emparais d’un couteau… superbement rouillé et donc parfaitement inutilisable.

– Bloub, bloug glouglougloub ! lançais-je vulgairement.

Et puis l’évidence ! Que Lady Voodoo soit à jamais bénie ! Le Black Hole me sauverait bien sûr la mise ! Tirant l’idole dans ma poche, je faillis m’arracher au passage la jambe qui y était attachée. Heureusement que le Black Hole n’aspirait pas d’êtres vivants et la corde finit par se délier toute seule pour finir avec l’idole dans une autre dimension couturière. J’étais libre ! Avant de remonter à la surface, je récupérai mon épée, toujours flambant neuve, malgré son stage au fond de l’océan. J’en aurais peut-être besoin.

Je jaillis hors des eaux. Mes poumons étaient prêts à exploser ! Ca ne faisait pas dix minutes pourtant ? C’était probablement dû au décalage horaire.

Etendus sur le ponton, je me concédai une courte pause. Elle fut interrompue par des cris.

Quelle agitation tout à coup ! Les pirates courraient dans tous les sens, leurs mines étaient peu réjouies. L’un d’eux trébucha sur mon corps. Il semblait terrifié, comme s’il avait vu un fantôme ou bien ma tante Edna complètement nue. Il se releva et partit comme ses collègues en direction de la forêt. Avait-il découvert la demeure de Carla ? Peu probable, leurs mines auraient été plus enjouées. Le flux de ces pirates continua pendant quelques minutes, je tentai de me renseigner sur leur hâte mais je n’obtins rien si ce n’est un « Il est de retour ! Il est ressuscité ! » bien énigmatique. Mon dieu… parlait-il de Jésus ?

Et c’est alors que je vis au loin sur l’océan un gigantesque bateau qui s’éloignait. Un navire fantôme, tout blanc et translucide à vous glacer le sang. Il filait au grès du vent malgré ses voiles déchiquetées et disparut bien vite à l’horizon. Et quand je dis disparut, il faut le prendre au mot. Pouf, pouf ! Le bateau était parti comme par enchantement. Impossible ! Je devais avoir rêvé !

Et alors que mon regard ne pouvait se détacher complètement du point où avait disparu
cette diablerie, j’entendis une voix lugubre dans mon dos :
– Attendez-moi les mecs ! J’étais au p’tit coin !

Je tournai la tête dans sa direction : un homme à la peau plus blanche que la lessive de ma mère avec des reflets bleus ! Il n’avait pas de jambes ! Il flottait ! Il fallait me rendre à l’évidence : ce type avait soit de graves problèmes de santé, soit plus de santé du tout et était bel et bien mort ! En bref, un cadavre vivant ou pour les profanes un spectre… un fantôme.

Alors qu’il zigzaguait de droite à gauche en direction de son bateau, il me heurta violemment en s’excusant, envoyant ainsi ma tête s’écraser contre une grosse poutre de bois. Je tournai de l’oeil et mes paupières me parurent soudain si lourdes… trop lourdes. Le cauchemar pouvait commencer.

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