Les mémoires d’un pirate (033)

– Je vais maintenant te révéler le véritable secret de l’escrime. Tu vois, un duel à l’épée c’est un peu comme quand tu te retrouves avec une femme : ce ne sont pas toujours les gestes qui comptent, mais aussi les paroles. N’importe quel pirate d’eau douce peut agiter un bout de métal pointu et découper son adversaire… Mais les professionnels eux, savent quand et comment surprendre leur ennemi avec une insulte bien choisie, une tirade déterminante qui les prendra par surprise. Tu vois, mon garçon, ton esprit doit être deux fois plus agile que ton épée.

Alors ce serait un jeu d’enfant… C’est du moins ce que je pensais.

– Allez, reprit-il. On essaye quelques insultes ?
– Je suis prêt ! m’exclamais-je fièrement.

Il ferma son oeil, leva la tête et commença sa mise en condition :

– Très bien. Imagine-toi que nous sommes… en plein combat enragé, comme quand j’étais à Port Royal avec Carla en pleine attaque de l’étoile de la mort…

J’y étais…

– … Tout d’un coup, il y a une pause et je te dis : « Tu te bats comme un boeuf ! ». Tu me réponds… ?

Facile !

– Et ta soeur fait du ski nautique ? C’est bon ?

Smirk se gratta la tête, sortit un peigne et se recoiffa (quelle surprise, n’est-ce pas ?).

– Je vois qu’on a du pain sur la planche, murmura-t-il entre ses dents. Tu aurais dû me dire quelque chose dans le genre : « C’est parfait car toi tu te bats comme une vache ! ».

Tu piges ? Boeuf… Vache… C’est grâce à un esprit bien tranchant que tu arriveras à gagner. Bon, on essaye autre chose.

– Professeur, oui, professeur !
– Imagine que… tu sois acculé contre un mur… je viens de te balafrer deux fois le visage avec mon épée.
– Ca ne ferait pas plaisir à Maman, lui confiais-je mécontent.
– Laisse ta mère tranquille et concentre-toi un peu, jeune coq !
– Pardon…

Enfin, quoi ? C’est la vérité ! Ma maman n’a pas souffert inutilement pour qu’un quelconque imbécile écorche mon merveilleux visage !

– Bon, fit Smirk. Je te dis alors… « Sous peu, je vais t’embrocher avec mon épée ! ». Tu répliques ?

Cette fois j’avais bien compris la leçon…

– … Et toi tu te bats comme une vache !

Le capitaine se gratta l’entre-jambe, sortit un shampoing, et alla se laver la tête avant de se recoiffer avec une brosse à cheveux.

– Non… non… non !!! hurla Sylvester. Ca c’était la réponse de l’insulte d’avant ! Ca ne veut rien dire quand tu l’utilises comme ça ! (il poussa un gigantesque soupir) Une réponse correcte serait quelque chose comme « D’abord arrête de la brandir comme un plumeau » !
– Ah.

Moi j’aimais bien la première réponse mais le professionnel c’était lui. Il devait connaître son métier.

– Suis-je prêt pour affronter la Reine du Sabre ? demandais-je à Smirk.
– En fait, non.
– Ah.
– Je te conseille de parcourir l’île de Mêlée et d’apprendre de nouvelles insultes. Ce ne sera pas du luxe. Quant à moi, je vais me coucher. Je l’ai bien mérité.

Il me souhaita bonne chance et me raccompagna au pas de course vers la sortie du gymnase. Il semblait épuisé. Je me demande bien pourquoi ? Après tout, c’était moi qui m’étais entraîné, pas lui. Ce devait être sans l’ombre d’un doute à cause du nombre incalculable de fois qu’il s’était recoiffé. C’est fatigant ce geste là.

Bien. Tout comme la nuit, mon véritable entraînement commençait à peine. Encore quelques centaines de duels contre les pirates de Mêlée et je ridiculiserais la Reine du Sabre, la plus fine lame que les Caraïbes aient jamais portées (Publicité).

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