Les mémoires d’un pirate (020)

– Ca fait 75 pièces de huit, me précisa le marchand en la désignant du bout de son sabre.

Je déposai la totalité de ce qu’il me demandait, c’est à dire 175 pièces de huit pour les deux articles. Quel beau chiffre rond tout de même !

– D’excellentes affaires pour le prix, dit le vieux. Tu verras, tu pourras déterrer 75 pièces de huit en un rien de temps ! Enfin… seulement si tu as une carte. – Et bien justement, j’en cherche une… – Silence ! s’écria le marchand en écarquillant ses yeux vitreux.

Il posa sa main sur ma bouche. Elle puait l’oignon. Il regarda à gauche, à droite puis encore à gauche, comme on vous l’apprend à l’école, donnant l’impression qu’il allait me confier un secret d’état ! Enfin, il sortit deux cartes enroulées.

– Bien, fit-il. Voilà ce que je te propose : la carte du trésor légendaire de l’île de Mêlée est à 100 pièces de huit, celle du trésor fabuleux de l’île de Mêlée à 105.

– Quelle est la différence ? – Juste l’adjectif. – Bon, alors va pour la légendaire. – Sage décision. Tu sais, c’est bien parce que c’est toi que je la brade à ce prix. Il n’en existe qu’une seule par adjectif. – Ah, euh, merci !

Je la pris et la regardai de plus près.

– Mais… c’est un cours de danse sponsorisé par le conseil des pirates !

La carte portait leur label et indiquait les pas de « la danse du singe ».

– Rends-moi mon argent, escroc ! rageais-je en frappant du poing. – Qu’est-ce qui te prend, gamin ? fit le marchand surpris. – Ce n’est pas une carte ! – Bien sûr que si ! C’est juste qu’elle est… hum… un peu originale. – Il n’y a aucune indication ! Je ne trouverai jamais rien avec ça ! – Si : le sens du rythme. – Ne te moques pas de moi ! – Pirate amateur ! gronda le vieil homme vexé. Regarde-moi ça, au lieu de pleurnicher !

Il retourna la carte. Derrière était inscrit clairement « Départ : croisement de la forêt ».

– Et alors ? lui dis-je. – Et alors, il faut que tu te rendes à ce croisement… – Où est-il ?

Le boutiquier leva les yeux au ciel exaspéré.

– Au croisement de la forêt. Tu veux pas que je te prenne la main et que je t’accompagne quand même ? – Admettons. Et que dois-je faire ensuite ? – Tu n’as qu’à danser selon les pas de la magnifique danse du singe !

Je le regardai incrédule.

– Je n’ai pas envie de faire le singe !

Il abattit soudainement son sabre sur le comptoir, coupant net une mouche en deux parties égales (16).

– Qu’est-ce que tu as contre les singes ? demanda-t-il menaçant.

Nom d’un bougre de ouistiti ! Vu sa tête, sa mère devait en être un ! J’avais insulté la mère d’un marchand !

– Les singes sont bien plus malins que toi, beau gosse… ajouta-t-il. – Ah oui ? dis-je outré. Et que savent-ils faire de si extraordinaire ces singes ? Eplucher des bananes ?

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16. Quoique je n’ai jamais vérifié avec exactitude. Oubliez donc le dernier mot de la phrase.

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