Les mémoires d’un pirate (006)

– T’as une idée derrière la tête et dans le pantalon toi ! Son palais se trouve de l’autre côté de la ville. Mais malheureusement pour toi, on n’y est pas vraiment le bienvenu. Plus depuis un petit moment.

Où que j’aille, je suis le bienvenu !

– En tout cas, reprit-il, si tu tentes d’y aller en douce, méfies-toi des chiens de garde. Ce sont de vrais monstres, capables de finir leur gamelle en dix secondes !
– Dix secondes ! Impossible ! Seule une race est capable d’un tel exploit !
– Oui. Ton intuition a vu juste…
– Des caniches-piranhas venimeux !
– Exact. Tu connais leur réputation : là où ils pissent, l’herbe ne repousse jamais.
– Mille milliards de mille sabords !

Pour s’être procuré de tels monstres, il fallait vraiment qu’elle veuille rester tranquille. On
ne faisait pas mieux comme gardes du corps.

– Mais bon, ne te décourage pas mon petit gars… ajouta-t-il alors.
– Je ne suis pas ton « petit gars ». Je suis Guybrush Threepwood !

Soudain, le brouhaha du bar cessa. Juste un bref instant de silence, comme si le temps venait de se pétrifier. Tout le bar me regardait avec le genre d’expression que l’on trouve après avoir regardé « La petite galère dans la prairie ». On entendit même une mouche roter (6).

Et puis ils s’esclaffèrent tous de rire, mon interlocuteur y compris. On entendait certains qui trouvaient la force d’articuler quelques mots comme « Non, mais t’as entendu ce nom à la mord moi le… » ou bien encore « Oh la la ! Et moi qui en voulais à mes parents pour m’avoir appelé Gastounet Léopold ! ». Et puis petit à petit, tout revint à la normale et ils reprirent tous leurs occupations. Comme si rien ne s’était passé. Qu’est-ce qui avait bien pu déclencher un tel fou-rire ? J’enrageais de ne pas avoir entendu la blague !

– Moi c’est Seepgood, dit mon interlocuteur. Mancomb Seepgood.

J’eus un mal fou à retenir mon rire. Quel nom ridicule ! Dommage que les autres pirates n’aient pas entendu ça, ils seraient repartis dans un autre interminable fou-rire !

Seepgood regarda son verre qui contenait un liquide gazeux et mousseux à la couleur indéterminée.

– On dirait que mon grog est en train de refroidir, mon gars. Excuse-moi donc. Content de t’avoir rencontré, tu nous as bien fait marrer. Et surtout, amuse-toi bien sur l’île de Mêlée.
– Mais j’y compte bien !

Je m’éloignai du type. Suffisamment pour être hors de son regard. Là, je ne pus me retenir
et me mis à rigoler tout seul : Mancomb Seepgood ! Quel nom stupide !

Une gentille petite bagarre entre amis éclata soudain. Elle venait d’être provoquée par le cul-de-jatte qui tournoyait accroché sur son lustre en train de crier des chansons paillardes. Ce n’était pas vraiment ses cris qui gênaient mais plutôt le fait qu’après avoir  eu le tournis, le type lâcha le lustre et tomba cul sur tête d’un pirate qui se curait  tranquillement le nez. Ce dernier lui envoya son poing dans la figure et, alors qu’il le bourrait de coups au sol, un autre pirate intervint en disant qu’on ne frappait pas ainsi les infirmes. Ce dernier, toujours vivant en effet, envoya son sabre dans l’entrejambe de son agresseur, le rendant infirme à son tour, et donc à égalité. Il purent de cette façon, continuer à se rouer de coups en toute impunité. Bref, la routine.

Je vaguais dans l’infâme bar, tentant de me frayer tant bien que mal un chemin vers l’autre pièce, là où se trouvait le conseil des pirates. Soudain, un pirate cracha sa chique vers le crachoir. Rien d’extraordinaire me diriez-vous si je ne m’étais malencontreusement trouvé au beau milieu de cette trajectoire. Je fixai le type : une fine moustache, un oeil crevé et traversé d’une longue cicatrice causée probablement par une épée. Bref, rien ne démarquait ce pirate de ses autres camarades.

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6. Et oui : elle était bourrée. Une autre malheureuse victime de la boisson passive qui cherchait depuis des heures la sortie.

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